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" Lorsque vous serez revenus chez-vous, dites vous que vous serez encore sur le chemin, et que vous y serez désormais toujours, car c'est un chemin qui ne connait pas de fin. Sachez le et ne l'oubliez jamais;"  

- Brigitte Alésinas

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Préface

Laurent Michelot​


 

​ Dans ma vie, il y a eu un avant et un après.

Avant toi et après toi, Sylvie : tu as changé ma vie.

Quand tu es venue chez moi proposer ce départ, je n’étais pas encore dans le coup de la fugue, les quelques jours suivants, j’allais rejoindre ta folle expédition. J’allais mal, il faut le dire, je sortais d’une rupture amoureuse, je remontais à la surface lentement en respirant l’air des rivières et de l’océan à bord de mon van. Mais j’avais davantage besoin d’oxygène, tu m’as donné l’occasion de le faire entrer dans mes poumons. L’excitation de l’aventure nous amenait à ballotter nos attirails en moins de quinze jours, chacun dans nos villes et sans aucune compétence d’une si folle épopée, nous bouffions du documentaire et des vidéos à la volée, légitimant nos allers-retours dans les magasins de voyageurs, pesant chacune de nos cuillères en bambou, tentant d’alléger nos coquilles d’escargot comme des apothicaires.

 

Et puis, nous avons marché.

 

Tu me dis que tu aurais abandonné sans jamais envisager atteindre le bout du chemin sans moi, je dois t’avouer la réciproque, même si j’ai moins souffert que toi, physiquement s’entend.

 

Ah, tes p…. d’ampoules, tes petons empourprés que je redoutais te voir recoudre à vif, je t’ai immédiatement surnommée « John » comme le Rambo du Vietnam, véritable couturier de chair.

 

Nos spectacles, surgissant au lever du soleil jusqu’au soir, nous apparaissaient magnifiques.

 

Magnifique !

 

​ Nous exclamions-nous à chaque lacet du Camino, tels les Michel Drucker, nous avons ri, il ne me restait plus, c’était inévitable, qu’à te surnommer avec sollicitude « John-Michel ». Il en faut peu pour s’extasier sur le Camino, te souviens-tu ? Nos émotions exacerbées nous ont fait rire et pleurer des bidules les plus insignifiants.

Du courage, tu en as eu, ah… je t’observais écrire (je ne dormais pas toujours, hum !) le soir, le matin, dans un bar ou une auberge, assise en tailleur devant notre tente, à l’aube ou au coucher du soleil, tu ouvrais ton livret et tu griffonnais les images de la journée comme elles t’apparaissaient, tu t’affranchissais de tes émotions avant qu’elles ne s’éclipsent, et tu avais raison, c’est le meilleur moyen d’éterniser nos bouts d’existence. Je t’avoue ma gratitude. Tu me tendais ton ouvrage, tu m’ouvrais une autre vision, ton chemin, différent du mien, celui de tes émotions, d’autres images s’ajoutaient, je découvrais ta sensibilité derrière ta dureté, le masque de ton égo et les dents que tu tenais serrées pour avancer.

 

Puis je t’ai tannée pour que tu m’offres ton intimité, et voilà ce bouquin.

Tes mots sont là, consignés dans cet ouvrage, faciles et tels que tu les as voulus, ils ont connu la pluie et le soleil, nous avons voulu les retranscrire purs et naissants des parfums de notre parcours, sans refonte, des mots sans retouche artificielle, des mots jaillis à vif de ton cœur, de l’instant, des mots de l’air, de l’eau, du vent et de la terre du Camino.

Allions-nous arriver jusqu’à Santiago ? Ce n’était pas le plus important, l’essentiel est ce que j’ai compris par la suite, ce que le chemin a ouvert dans ma destinée, grâce à ton apparition dans mon existence, cette belle compagne de route, ma vie est devenue un cheminement en accord avec celui que je suis.


 

Ami lecteur, j’espère que tu prendras autant de plaisir que j’en ai pris sur le chemin à découvrir les émotions de cette petite pèlerine vagabondant sur ce magnifique chemin qu’est le « Camino Frances » en Espagne.


 

Buena Lectura y Buen Camino.

 

 

« Pour se mettre en marche, il suffit d’avoir 5 % de réponses à ses questions ; les 95 % restants viennent sur le chemin. Ceux qui veulent 100 % de réponses avant de partir restent sur place. »

- Mike Horn -

 

 

 

 

 

                                                       Où suis-je ? Complètement incroyable !!! Les Pyrénées, sur le chemin de Compostelle !!! Quelle idée !!! Pour comprendre, il faut revenir en arrière d’un mois dans ma vie, voire plus. Tout d’abord l’année 2020. Année de Covid, année du confinement. La terre entière s’est vue confinée à cause d’un virus. Virus avec un taux de propagation qu’il a fallu stopper. Alors les pays ont confiné leur population, sauf pour quelques exceptions. Pour nous, la date du 13 mars marque le début du confinement en France.

57 mètres carrés pour moi. Seule. Tout est chamboulé. Pas de sortie sans autorisation ! Distanciation sociale ! Tout devient anxiogène ! Je trouve tout normal, sauf ma solitude ! Une personne et ses précieux conseils vont bouleverser ma vision des choses.

Je découvre le temps présent, le bien-être, la méditation, le yoga et les accords toltèques.

 

Laurent est entré dans ma vie…

 

Ma manière de penser devient caduque et je découvre une nouvelle façon de voir l’avenir. Vivre au temps présent ! Un coup de téléphone et ma vie bascule du sans intérêt à une autre façon de voir l’avenir. Jusqu’à maintenant, la seule personne qui m’en parlait était ma grande Mél. Je ne l’écoutais que d’une seule oreille. Le confinement va tout changer. Grâce à de nouvelles lectures et cette nouvelle vision, ne penser à rien, regarder le temps filer, regarder la nature : vivre. Je découvre la stagnation de ma propre vie. Tout devient dérisoire. Je ne veux plus de cette vie faite de préjugés et de jugements.

 

Une nouvelle voie s’ouvre à moi.

 

Les deux mois de confinement serviront à ouvrir mon esprit et une nouvelle façon d’appréhender la vie. Laurent est le déclencheur de cette remise en question, une fenêtre qui s’ouvre sur des concepts inexplorés, une nouvelle moi qui voit le jour. Bien qu’éloignés, mes fils restent présents et cela me comble de bonheur et me rappelle que la famille et l’amour sont des choses précieuses. J’ai vécu dans le stress si longtemps et j’analyse le chemin parcouru.

J’ai 53 ans et je suis fatiguée de me battre continuellement, fatiguée de lutter. Alors dans mes 57 mètres carrés et ma solitude, je dissèque ma vie. Je ne me retrouve plus et il faut que je modifie quelques critères. Je dois absolument apprendre à vivre dans le temps présent. Alors je m’applique. Laurent, à travers nos échanges internet, m’aide et me soutient dans cette nouvelle vision de la vie. Et j’apprends ! Je m’isole et continue à apprendre, à aller au-delà de mon stress et de ma vision à court terme. Ne plus regarder le passé et ne plus anticiper le futur. Je résiste à ces deux mois de confinement en méditant sur ma vie. La sortie du confinement brise mes faibles barrières et je me sens près du gouffre. Je fais bonne figure comme d’habitude devant les autres et personne ne sait vraiment comment je me sens au plus profond de moi. J’occulte les pensées négatives durant le jour, mais la nuit mes rêves et cauchemars me jouent des tours. Je rêve d’étoiles, mais elles finissent toujours par tomber par terre. Ma rencontre physique avec Laurent est une bonne surprise. Il voyage une partie du temps en van et voudrait essayer de ne vivre que de cette manière-là. Je le rencontre près de Fouras où il séjourne pour quelques jours. Nous passons la journée à parler et je ne veux pas quitter ce petit moment de vie et vais rester quatre jours en sa compagnie. Une première rupture durant ces quatre jours avec tout ce que je croyais indispensable. Ces quatre jours nous lient, mais c’est la fin de l’aventure même si cela fait mal. Ce n’est pas ce qu’il nous faut, ni à l’un ni à l’autre. On a tous nos problèmes à régler. Je le quitte après l’avoir respiré et lui avoir souhaité tout le meilleur. Il dort. Il n’entend que la voiture partir. Je pars avec mes quatre jours de liberté sous le bras. Je vais m’asseoir face à la mer, tranquillité du petit matin avec le soleil qui se lève. Un moment magique ! Il m’a appris à apprécier le moment présent. Le retour dans mes 57 mètres carrés m’achève et cette fois-ci je m’écroule entièrement.

Il me faut quelques jours pour comprendre que je pleure sur moi-même et qu’il est temps de provoquer mon futur.

Deux entretiens me font espérer pour du travail en septembre. Que vais-je faire en attendant ? Je m’achète un sac à dos, et me dis qu’il me faut partir marcher. Où ? Je n’en sais rien ! Seule ? Ça me fait peur. Comment ? Aucune idée. Je dîne avec ma grande Mél et nous en discutons, elle me comprend ! Compostelle n’est pas encore dans mes pensées.

 

Je reprends contact avec Laurent, pour que l’on se voie le temps d’un verre et en arrivant chez lui, je fais une jolie rencontre, son amie Christelle. Nous passons une superbe soirée. J’accepte l’invitation à passer la nuit là-bas. Je leur parle de mes projets, de mon sac à dos, de mes peurs, de mes doutes et de mes questionnements. Rien n’est encore figé. J’essaie d’appréhender mes peurs. Toujours pas dans l’idée de Compostelle ! À une heure d’intervalle, mon projet va prendre vie ! Un message de ma grande Mel qui me parle d’un reportage devant passer sur France 3 sur les chemins de Compostelle. Peut-être l’ouverture qu’il me fallait. Un deuxième message. Laurent me demande s’il peut s’intégrer à mon projet. Il en a autant besoin que moi. Je lui parle du reportage des Racines et des Ailes sur Compostelle et nous visionnons l’émission chacun de notre côté.

C’est décidé, nous partons pour un chemin de huit-cents kilomètres, pour le chemin de Compostelle jusqu’à Santiago. Une folie ! Nous sommes fous. Je suis folle et pourtant je le sens, je sais que c’est ce qu’il faut que je fasse. J’ai besoin de me ressourcer, de me retrouver.

En toute logique, il en est de même pour lui. Nous programmons notre départ pour début juillet. Nous avons hâte l’un et l’autre. Une frénésie d’achat, la carte bleue explose.

Nous allons camper, revenir à la vie, faire un chemin sur nous-mêmes et nous découvrir, nous redécouvrir.

 

L’envie est forte, mais les heures passées devant mon ordinateur me font douter. Si je commence ces huit-cents kilomètres, je dois aller jusqu’au bout. Mais vais-je en avoir la force mentale, physique et psychologique ? Suis-je prête pour ce dépassement de moi-même ? Nous nous promettons avec Laurent de nous soutenir, de nous écouter, de veiller l’un sur l’autre. Malgré tout, j’ai aussi besoin du soutien de mes amis et de ma famille. Je crée un groupe WhatsApp avec une cinquantaine de personnes. Je veux pouvoir être reliée et communiquer si je baisse les bras. Laurent sera là pour m’encourager, je le sais, et je le serai aussi pour lui, mais j’ai aussi besoin de partager cette aventure avec ceux que j’aime. Suite au message de mon départ, les messages affluent. 95 % sont au rendez-vous et feront le voyage avec moi à travers mes photos et mes vidéos. Cela se concrétise petit à petit. Les portes s’ouvrent les unes après les autres.

Une dernière porte va s’ouvrir avant mon départ. Un entretien, une rencontre : Madame de La Sayette. L’entretien semble bien se passer, le poste est prévu pour début septembre, donc il s’intègre à mon projet de départ.

Par contre durant l’entretien, petit hic, le poste n’est plus pour septembre, mais pour la dernière semaine de juin et là, je dis non !

 

Non, je ne peux pas !

 

Non, je ne suis pas disponible avant septembre ! Je suis désolée, mais j’apprends à dire non ! Je pars dans dix jours, et n’ai aucune envie d’annuler mon projet. Il me concerne moi et Laurent. Je ne peux pas nous faire faux bond. Alors je dis non, j’explique mon cheminement, en fait mon chemin a déjà commencé. Les portes s’ouvrent et se referment, mais ça n’est pas grave. Je n’ai qu’une seule idée en tête : me ressourcer, me retrouver. Je pars de l’entreprise sans aucune idée négative. Ça sera autre chose, tant pis : mais non ! Je ne regrette rien ! Mon NON a été spontané et il est temps que je pense à moi.

 

Enfin !

 

Juste moi, rien que moi !

 

Une surprise m’attend le lundi matin avant mon départ : Madame de La Sayette m’appelle, me dit qu’elle comprend et que je suis embauchée pour septembre. La porte ne s’est pas refermée. Elle a déjà fait Compostelle et elle comprend ma démarche. Elle veut juste savoir si je serai prête à retravailler en septembre. Je n’en suis pas sûre, mais je lui dis oui. Je m’engage six mois avec elle. Elle me fait parvenir mon contrat à signer avant mon départ pour que je parte l’esprit tranquille.

 

 

                                             La semaine passe doucement, ponctuée d’échanges téléphoniques avec Laurent. Nous avons hâte l’un et l’autre de nous confronter à nous-mêmes. Nous avons chacun un sac à dos de choses négatives en plus des huit kilos que nous devons porter sur notre dos. Nous avons deux mois pour essayer de nous retrouver nous-mêmes.

Derniers au revoir, et je prends la route pour Angoulême. Nous passons deux heures à faire, défaire, et refaire nos sacs à dos, peser chaque objet, retirer un maximum pour être le plus léger possible. Enfin les sacs sont prêts avec plus ou moins huit kilos chacun. Une bonne nuit de sommeil ne fera pas de mal. Cela fait plus de dix jours que je ne dors quasiment plus. Le stress et l’excitation se confondent. Je dois être folle ! Nous sommes d’accord l’un et l’autre, nous allons prendre notre temps pour ce périple. Nous ne sommes pas des lève-tôt ni l’un ni l’autre, alors pas de contraintes. Nous partirons quand nous serons prêts. J’ai glissé mon calepin pour écrire en cours de route. Tout ce que je vais ressentir et vivre sur ce chemin sera consigné durant mon voyage.

Nous partons enfin vers Saint-Jean-Pied-de-Port pour nous offrir une dernière nuit dans un vrai lit. Ensuite, ce sera dans la tente avec un minimum de confort. Arrivés dans l’après-midi, nous nous promenons dans notre ville de départ et trouvons un endroit pour garer le van pour deux mois. Nous trouvons un spot pour la nuit dans les montagnes avoisinantes. Là commencent les échanges avec le groupe WhatsApp. J’ai envie de communiquer mes émotions en temps réel. Laurent dit que je vis trop dans le passé, il a entièrement raison. Nous sommes tous pareils, nous avons nos casseroles à jeter au fur et à mesure de nos vies, mais certaines ne nous permettent pas de vivre le temps présent. Je sais, je le sais que trop bien, j’apprends, je fais de mon mieux.

Nous avons donc choisi le haut de la montagne, spot magnifique, et nous nous promettons d’être là l’un pour l’autre et de nous soutenir pour cette épreuve difficile qui nous attend.

 

Une nuit un peu plus réparatrice que ces deux dernières semaines. Le matin arrive très vite. Les étoiles dans mes rêves sont de retour, mais elles sont de nouveau toutes tombées par terre et ces deux prochains mois ne seront pas de trop pour les remettre dans le ciel de mes rêves. Toujours ce besoin de me reconstruire présent dans mon esprit. Je sais que la souffrance sera au rendez-vous, mais je vote pour. Allez zou ! Nous partons pour Saint-Jean-Pied-de-Port pour notre grand départ. Nous ne nous donnons aucun objectif en dehors de faire de notre mieux. Nous déambulons dans les ruelles escarpées de la ville et allons patienter devant le bureau des pèlerins pour récupérer nos Crédencials, passeports de Compostelle. Nous savons qu’elles ne seront pas validées à notre arrivée à Santiago du fait de cette période de Covid, mais ça n’est pas grave. Ce voyage, nous le faisons pour nous.

 

                                      Nous décidons de manger dans une crêperie avant le départ. Retardons-nous le moment du départ ? Peut-être ! Sûrement ! Mais nous avons besoin de prendre notre temps. Van garé, sac sur le dos, nous entamons notre première montée, et celle-ci nous met déjà au diapason de ce que nous allons subir durant ces huit-cents prochains kilomètres. Je souffle, je souffre, je peine, je m’arrête et repars, première montée difficile, mais nous rêvons déjà de nature et de grands espaces, nous savons que cette première étape fait vingt-sept kilomètres, nous sommes conscients l’un et l’autre, que nous allons fractionner. Huit petits kilomètres et je suis au bout de ma vie. Nous avons la chance de le faire sous une bruine persistante, oui je dis bien de la chance, car sous un soleil de plomb, je crois que cela aurait été mille fois plus difficile. Le temps passe et nous découvrons des paysages à couper le souffle. Nous faisons des photos et des vidéos du moment présent et postons le tout sur WhatsApp. Pas de deuxième prise. Nous voulons montrer le côté réel de notre voyage. Laurent m’encourage et me soutient, je peine plus que lui dans cette montée difficile. Il m’attend en haut des côtes ardues, il me rassure en me disant que c’est plat après, ce qui n’est pas toujours le cas.

Au fil des kilomètres, j’attends cette phrase qui n’est pas vraiment vraie avec impatience. Cela m’aide, je l’avoue. La fin d’après-midi arrive et nous devons penser à trouver un endroit pour notre bivouac, pour notre première nuit dans la tente, sans confort, juste avec un tapis de sol d’un centimètre d’épaisseur et un mètre de long pour nous protéger le dos de l’humidité.

Première galère pour moi. Nous devons nous éloigner de la route et monter un talus de terre glaise détrempée par la pluie du jour. Laurent monte sans son sac pour trouver l’emplacement de notre première nuit. Je l’attends en bas et j’appréhende déjà ce talus qui me paraît plus que glissant. Il revient chercher son sac, remonte sur ce talus tout en glissant dans ses sandales. Je monte à mon tour, sac sur le dos, mais je ne trouve pas de prise et m’étale de tout mon long dans la glaise en plein milieu. Je fulmine, j’étais déjà au bout de ma vie en bas de ce talus. Je glisse jusqu’en bas, je suis couverte de boue. Je repars à l’assaut de cet obstacle et m’étale une seconde fois. Je gis allongée sur le dos dans la boue en plein milieu du talus et je me demande ce que je fais là. Un désir d’abandon m’envahit immédiatement, les larmes sont là en même temps que le désespoir. Mais qu’est-ce que je fous là ? Une pensée pour mes amis sur WhatsApp qui pensent que je suis une guerrière, pour Laurent qui m’encourage à attraper sa main. J’ai peur qu’il glisse à son tour, alors j’essaie d’analyser la situation, regarder autour de moi pour éviter une deuxième glissade jusqu’en bas du talus. Je suis sur le dos arc-bouté avec mes talons dans la terre gluante. Une image traverse mon esprit et me fait sourire malgré mon désespoir. Une tortue ! Je ressemble à une tortue retournée sur sa carapace ! Avec un gros effort, je me retourne, prends appui sur mes genoux, et avant de glisser attrape un bouquet de bruyères et arrive à me hisser avec l’aide de Laurent en haut du talus. Situation cocasse que Laurent a eu le temps d’immortaliser sur une photo ! Ouf ! Pas de vidéo de la tortue !

 

                                    Nous installons notre tente en haut de la colline, à côté d’un abreuvoir pour les moutons. L’eau semble suspecte, mais je ne peux pas rester couverte de boue, alors je fais la grande lessive (vêtements, chaussures, sac à dos, bâtons). Tout y passe, moi y compris. Nous sommes exténués. Certains font cette première étape de vingt-sept kilomètres de montagne en une seule fois. Nous ne l’envisageons même pas. Il faut d’abord habituer notre corps à l’effort et coupons l’étape en trois jours avec deux nuits à camper dans la montagne, loin de tout, magique.

Cette première nuit se fera sous les arbres avec la brume qui va tout humidifier, même mes chaussures, détail qui a de l’importance au vu des ampoules qui vont se succéder dans les prochains jours. Je vais veiller toute la nuit, je n’arrive pas à trouver le repos, pas de rêve, juste l’inconfort et le froid. Soyons positifs, c’est la première nuit et à cela aussi notre corps doit se préparer.

 

Nous prenons notre temps le matin et repartons vers 11 heures après avoir eu le spectacle d’un troupeau de moutons arrivant sur notre site. J’appréhende la descente du talus, mais bonne surprise, à cinquante mètres du talus après le virage, nous trouvons un chemin en pente douce. Cinquante mètres de plus hier soir et je n’aurais pas vécu l’épisode de la tortue !

Après deux kilomètres, nous arrivons aux abords d’un restaurant d’altitude. La chance est avec nous, nous n’avons plus beaucoup d’eau. Nous prenons un peu de temps dans cette auberge en terrasse pour recharger nos téléphones et reprendre des forces. Le dénivelé est énorme et la mise en jambe est terrible pour nos corps peu habitués à de tels efforts. Pour ma part quelques ampoules sont apparues et rendent la marche inconfortable, mais le mental est là, alors nous avançons. La découverte des paysages et des animaux en totale liberté nous enchante. Nous rencontrons des troupeaux entiers de moutons, de vaches et de chevaux. Pas de fils barbelés, une liberté totale pour eux et pour nous. Nous progressons vers les sommets, les pentes sont ardues et me laissent sans souffle. Chacun de nous monte à son rythme, et je suis souvent à la traîne. Mais peu importe ! Je fais de mon mieux et les paysages me nourrissent l’esprit. Après une grosse montée, notre œil est attiré par un petit torrent et Laurent me construit une petite piscine rien que pour moi et nous y trempons nos pieds avec plaisir. Une vingtaine de minutes dans l’eau glacée permet à mes pieds de dégonfler. Je peine, je souffle, oui, je souffre dans tous mes muscles. Mes pieds restent ma faiblesse. Je prends sur moi en continu pour faire avancer ces pieds qui n’en veulent déjà plus au bout de deux jours de marche, mais je garde le moral et le mental. Laurent aimerait pouvoir marcher seul un peu. Je me sens un peu comme le boulet de service. Beaucoup de vidéos de moi arrivant en haut des côtes, essoufflée, rouge et épuisée. Je tiens bon. Chaque côte est un supplice. Mon corps rechigne à faire tant d’efforts. Tout le monde me dit que dans une dizaine de jours, je ne sentirai plus rien. J’ai un doute. Laurent s’arrête pour fumer un cigare et me dit de ne pas l’attendre. Nous venons de croiser une horde de chevaux sauvages sur la route. Impressionnant, majestueux ! J’entreprends la dernière montée sur l’asphalte, ensuite nous entamerons le vrai chemin caillouteux, pierreux, sablonneux. Je monte, m’arrête et repars. Je garde le moral, je vais y arriver. Ça y est, j’y suis arrivée ! Une flèche jaune indique le chemin à flanc de montagne. Je lève la tête et j’avoue qu’à cet endroit, le désespoir se rappelle à moi. J’attends Laurent, je blague à son arrivée, mais le doute s’est installé en moi. Nous vivons avec nos peurs et cette partie de chemin me terrifie. Je doute de moi, je doute d’y arriver. Un vautour s’est posté en haut de la montagne. J’ai l’impression qu’il attend que je flanche. Cela m’aidera dans la montée, je ravale mes larmes et mes craintes de ne pas être à la hauteur. Laurent ne se plaint pas, moi je ne fais que ça, et extérioriser mes douleurs me permet de les évacuer. Après deux kilomètres sur un petit chemin, nous arrivons enfin à la fontaine de Roland. Nous n’avons plus d’eau depuis un très long moment. J’évacue tellement de transpiration que je n’arrive même plus à faire pipi. L’eau est fraîche et nous fait du bien. Laurent par surprise me renverse un bidon d’eau sur la tête. Je ne m’y attendais pas, et là, surprise passée, je m’aperçois que cela fait vraiment du bien. Nous devons penser à notre deuxième bivouac. À un kilomètre et demi est annoncé un refuge et je me concentre pour y arriver, je ne sais pas à quoi je dois m’attendre, mais ce refuge m’apparaît comme le but ultime de la journée. Je sens que mes ampoules au talon se réveillent. Le refuge enfin ! Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais ma déception est aussi immense que ma fatigue. Le refuge est abandonné, nous montons notre bivouac à une vingtaine de mètres de celui-ci.

 

Je me sens aussi abandonnée que l’endroit même.

 

                                        Ma deuxième nuit se passe mieux et je me réveille tôt le matin pour pouvoir commencer à écrire. Nous prenons notre temps le matin, ce qui permet à mon corps et à mon esprit de se remettre des courtes nuits. Je dors certes, mais je me réveille souvent, un sommeil haché qui me laisse une fatigue latente pour ces dures journées de marche.

Notre soirée sera bercée par le spectacle des moutons qu’un pâtre dirige sur le flanc de la montagne face à nous. Nous rencontrons tour à tour deux jeunes qui s’arrêteront discuter avec nous autour de notre bivouac. L’orage gronde et quelques gouttes de pluie tombent. Nous nous attendons à une nuit difficile. En fait, seul le vent va perturber notre nuit avec la peur que la tente ne s’envole.

En me réveillant ce matin, le spectacle est grandiose avec la vision du soleil qui se lève et qui perce le brouillard. Je m’approche du bord de la montagne et découvre la vallée qui est sous ce brouillard. Nous repartons ce matin pour notre dernière montée avant la descente de sept kilomètres vers Roncevaux. Je pars la première après avoir enfilé ma genouillère, Laurent prendra la route peu de temps après moi. Ma peur c’est que mon genou gauche ne résiste pas. Une descente de pur bonheur à travers les cailloux et la forêt. Cette descente, je vais la faire seule face à moi-même. Je passe à travers des émotions différentes, entre le kiffe de jouer à trouver mon chemin entre les cailloux et les éboulis, et puis mes craintes, mes peurs et ma solitude en traversant cette grande forêt, à certains endroits, la lumière n’arrivant même pas. Je pense à Laurent et prie pour qu’il n’abandonne pas. Je ne pense même pas à moi, juste à lui, car j’ai compris qu’il a besoin de lumière dans sa vie, et celle-ci n’est pas présente dans la forêt. Je lui envoie mille pensées positives. Voici la dernière barrière, je suis arrivée après sept kilomètres de descente et j’ai adoré. Je me sens calme. Laurent arrive une dizaine de minutes après moi. Le crachin s’est invité à l’arrivée.

Nous sommes affamés et nous optons pour un repas reconstituant dans un restaurant. Nous rencontrons un couple venu manger une glace, lui, part en fin de semaine faire le Camino del Norte. Nous faisons le plein de conseils et apprécions cet échange. Mes ampoules se sont aggravées, mais je n’ai plus de Compeed. Heureusement nous arrivons dans un village où le gérant d’une petite épicerie se met en quatre pour me trouver dans ces réserves, ce dont j’ai besoin. Nous continuons à marcher et découvrons de nouveaux paysages. À chaque colline, lors des descentes, les paysages changent. Nous avons quitté les Pyrénées françaises et sommes arrivés en Navarre.

Nous avons décidé de nous arrêter dans un camping. Les derniers kilomètres se feront dans la douleur et seul le mental me fait tenir. Je pleure et n’arrive pas à endiguer ce désespoir dû à la fatigue, aux courbatures et à mon mal de pied quasi intolérable. Le camping étant assez éloigné du Camino, nous finissons le dernier kilomètre en stop. Nous profitons de la douche chaude et cela va nous faire énormément de bien. Nous profitons de la machine à laver du camping et des vêtements propres m’apportent du réconfort.

 

 

 

                                  Nouvelle journée de marche. Les paysages sont magnifiques. La journée se passe dans la douleur pour mes pieds, mais je résiste, j’apprécie le moment présent, je me nourris des paysages autour de moi. Aux abords d’un petit village, nous découvrons un petit torrent, nous nous installons pour notre bivouac dans ce petit éden. Laurent est dans son élément. Il décide d’aller se baigner. Pour ma part, après avoir découvert l’état de mon pied droit, je n’ose pas. Quatre ampoules se sont amalgamées au même endroit et il n’y a plus de peau. La souffrance est terrible. L’eau fraîche m’apporte un peu de réconfort malgré tout.

Le doute de ne pas pouvoir continuer à marcher s’insinue en moi.

Je ne sais pas comment je vais pouvoir mettre mes chaussures de marche. Mes pieds ne sont que douleur.

 

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