top of page
NOTRE NOUVEAU PRESIDENT BANNIERE vivre et agir écologie.png

"Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera vraiment perdu"

                                                          - Sylvain Tesson -

Aussitôt élu, il annonça une décision draconienne : supprimer toutes les poubelles dans les rues de France !

 

Son parti avait mis en place le radical mouvement : une invitation aux municipalités à procéder au retrait de TOUS les récupérateurs de déchets, qu’ils soient en plastique, métal ou béton maquillé de bois. Aucune exception, tout devait disparaitre.

 

Le nouveau président venait de provoquer un tollé, une véritable tornade dans les états-majors de l’établissement français et bien sûr de ses compatriotes.

 

Comment était-il possible de nous supprimer ce qui était devenu indispensable dans nos vies modernes ? Reviendrions-nous prochainement à l’ère préhistorique, envisagerions-nous sérieusement devoir frotter deux silex pour accéder au feu !?

 

Le président justifia sa décision sur la soi-disant prolifération de nos chères bienfaitrices récupératrices qui, selon lui, se reproduisaient dans une véritable surenchère orchestrée par les mairies. Il remarquait que les municipalités raffolaient de ces plaies, était-ce une manière d’annihiler la peur de ne plus laisser inoccupée une seule parcelle de la commune sans déversoir, l’offrande libératrice déchargeant nos bras tendus de rejets devenait la priorité et notre bien-être vital.

 

Désormais, plus aucune encoignure n’était mise à l’écart, les princesses puantes s’encastraient dans le moindre carré de mur vacant, florissaient les parterres de gazons, embrassaient nos paysages, décoraient nos villes, irisaient nos rues comme nos routes, devenaient la norme de nos panoramas, conviaient aux entrées de villages, virevoltaient au détour d’un virage, épanouissaient la moindre clairière sinistrée, s’alignaient le long des écoles, toisaient les morts des églises, divertissaient les impasses silencieuses.

Bref, nous contemplions les purulentes partout, au fond des forêts, en haut des montagnes, au bord des rivières, elles s’alanguissaient dans toutes les tailles, couleurs, matières et formes.

Parfois, leur absence nous inquiétait. Les toxicomanes réceptrices nous conditionnaient à l’état de manque.

 

Les petites verrues blafardes s’étaient démultipliées dans l’insouciance collective, incrustaient leur univers dans l’orientation de nos regards.

Nos amies moroses normalisaient nos existences et nous avions accepté leurs allures délabrées, leurs relents vomissant s’infiltraient dans chacun de nos souffles.

 

La compétition entre les municipalités s’accentuait : chacune pensait qu’à chaque rajout d’une nouvelle bienfaitrice, la localité serait perçue comme plus proprette et gagnerait des points dans la course au confort urbain. Cela ne posait aucun doute : nous affichions nos responsabilités immaculées en phase avec la bonne tenue du monde.

 

 

Le président rencontra une résistance acharnée, même si certains maires avaient trouvé là une opportunité de se dépêtrer des envahissantes, la plupart des autres élus n’adhéraient pas à cette injonction brutale et antidémocratique.

 

Un grand nombre de concitoyens réfractaires pour ne pas dire la plupart, habitués aux us et coutumes acquis soutenait leurs élus, l’opposition s’organisait férocement en campagne comme en ville.

 

Les associations les plus virulentes comme « France Nature Propre », « Poubelle La Vie » ou « Nos Déchets Libres » avaient décidé la guerre au nouvel élu et son équipe de doux rêveurs.

 

Les poubelles sont indispensables à notre survie ! clamait l’une, tandis que d’autres placardaient des tracts salvateurs sur leurs protégées.

 

–« Oui, je conçois qu’elles soient indispensables » se défendait le président « puisque nous générons des déchets, mais envisageons d’autres solutions ».

 

–« Ah oui ? peut-on savoir lesquelles ? » se scandalisaient les offensés.

 

Un lot impressionnant de questions légitimes interpellait notre président :

 

 

— « Vous ne trouvez peut-être pas que la France n’est pas déjà assez souillée comme ça ? » grondait France Nature Propre

 

– « Elle l’est, n’est-ce pas une preuve que notre système actuel ne fonctionne pas ? » démontrait le président.

 

– « Imaginez le pire cher président, si nous supprimons nos poubelles, les désinvoltes abandonneront immanquablement leurs ordures de tous côtés et en premier lieu dans notre belle nature ! »

 

– « Pensez-vous que ça n’est pas déjà le cas ? Regardons notre environnement, il est jonché de détritus, empoisonné de toutes nos immondices, verres, plastiques, papiers, décharges et j’en passe ! » soutenait notre président.

« Quant aux containers, ils sont d’une saleté et d’un désespoir dignes des pires films d’horreur, mal conservés et saccagés, ils débordent de tous leurs orifices, à penser que les concitoyens ne savent ni viser ni réguler ! »

 

– « Ah oui ! et si nous retirons ces containers, où allons-nous jeter, dans nos poubelles personnelles peut-être ? Elles vont vite être débordantes ! »

 

– « Certainement pas ! » avait affirmé le président, « vos poubelles “personnelles”, ce sont les pires, elles envahissent et embaument les rues dont elles sont devenues reines devant les portes de vos maisons, j’ai l’impression que nous les valorisons davantage que les piétons, elles seront retirées comme les autres  ! »

 

– « Retirées ????? Mais c’est quoi cette folie ?! » rugissaient les défendeurs désabusés  : « Expliquez-nous alors ce que nous allons faire de nos déchets ?! » 

 

–« Nous les rapporterons là où nous les avons pris. »

 

– « Là où nous les avons pris ? C’est-à-dire ? »

 

– « Nous les rapporterons là où nous sommes allés les chercher : dans les grandes surfaces » proposa calmement le président.

« Si nous sommes capables de prendre notre voiture, de la remplir de nos futurs détritus, pourquoi ne serions-nous pas autant capables de les rapporter là où nous sommes allés les chercher  ? Quelle raison pourrait nous en empêcher ? »

 

– « C’est complètement utopique… »

 

– « Quand nous partons pique-niquer en forêt, ou à la campagne, nous les emmenons avec nous dans notre sac, une partie du contenu file dans notre estomac, et l’autre partie, quelle difficulté pouvons-nous rencontrer à la ramener avec nous ? La contenance de notre sac aurait-elle augmenté durant le temps de notre promenade ou aurait-on perdu de nos forces au retour ? » ironisa le président.

 

– « Mais quelle complexité ! c’est pourtant si simple de laisser nos restes dans les poubelles agencées sur place et de repartir tranquillement les mains vides ! »

 

– « … Et le ventre plein, et la nature agrémentée de l’offrande de notre visite… Est-ce là le meilleur remerciement que nous puissions lui laisser en contrepartie de ce qu’elle nous offre ? La véritable “difficulté” que nous rencontrons n’est-elle pas issue du fait que l’on nous a toujours tout donné tout cuits dans la bouche, comme on donne la cuillerée à un nouveau-né ?

Quelles bonnes habitudes nous a-t-on donné ses dernières années ? Un assistanat nous condamnant à ne plus utiliser nos matières grises ! Des habitudes nous aveuglant de toutes autres possibilités ? »

 

– « Nous, nous appelons plutôt ça un confort de vie, et là, clairement, vous nous le supprimez cher président  ! » 

 

– « Peut-on appeler un confort un acte qui nous rabaisse à ne plus réaliser que notre univers a besoin de nous et non le contraire ? Les gouvernements précédents vous ont prodigué ce que vous nommez un confort, mais ne vous ont-ils pas voulu dépendants de leurs institutions ?

N’êtes-vous pas devenus subordonnés d’une société dirigée par les multinationales, ces lobbies qui ne souhaitent qu’une seule chose, que nous consommions davantage, et de plus en plus ? Notre société qui échappe à ses propres dirigeants, bien trop occupés à soigner leurs égos au sein de leurs partis politiques plutôt que d’élever spirituellement leurs concitoyens  ?

 

Les multinationales, pour mieux nous séduire, nous vendent leurs produits suremballés de papiers, cartons, tissus, verres, métaux, et surtout de plastiques, dont la plupart, même triés, s’échoueront dans les pays pauvres d’un autre continent, loin de nos estomacs.

 

Ces gouffres à ordures ont poussé un peu partout dans notre belle France pour pouvoir avaler davantage les déchets de notre surconsommation, elles sont les œuvres des municipalités complices d’un état lui-même aux ordres des multinationales.

 

Ne vous êtes vous pas rendu compte que nous nous endormions au cœur de nos déchets, que nous respirions et vivions dans un univers de poubelle ?

 

Trouvez-vous logique d’utiliser notre voiture juste pour aller jeter nos déchets aux portes de nos villages ? »

 

– « C’est bien beau tout ça, mais quelles solutions proposez-vous si nous ne pouvons même plus utiliser nos poubelles devant chez nous ? »

 

– « Nos grands-parents avaient-ils leurs poubelles continuellement entreposées en évidence devant leur maison ? J’ai le souvenir que non ! Nos poubelles à poignées étaient stockées dans un coin du garage, une buanderie, ou l’endroit de la maison le moins visité, elles se faisaient discrètes. On ne peut pas dire que la poubelle soit le principal attrait esthétique d’un lieu de vie. Et pourtant, regardez comme nous les avons mises en avant de nos maisons ces dernières années. Pourquoi doubler les poubelles pour chaque foyer ? Pourquoi disposons-nous d’une poubelle devant nos maisons et d’une autre à l’intérieur ? »

 

– « Parce que nous en avons beaucoup et par praticité pardi    ! »

 

– « Trouvez-vous pratique de mettre une première fois nos déchets dans une poubelle, puis de les transvaser une deuxième fois dans une autre ? »

 

En y réfléchissant bien, le président avait peut-être raison sur ce coup-là…

 

 

– « Bon admettons, mais nous n’avons toujours pas notre réponse, que faisons-nous donc de nos fichus détritus ? »

 

« D’où proviennent nos détritus ? Ne proviennent-ils pas essentiellement des emballages de notre alimentation ? »

 

« Oui, mais pas que ! »

 

« Oui, mais les principaux, les grandes surfaces nous vendent sans hésitation des produits suremballés et ne font aucun effort pour les recycler ».

 

Comme je vous l’ai dit, nous rapporterons là où nous prenons.

 

Notre pays fonctionne avec trop de taxes, et j’ai décidé d’y mettre fin, d’appliquer d’autres principes, des règles plus humaines, si ces grandes chaines nous fournissent leurs produits dont les déchets sont de plus en plus importants, ce sont à elles de récolter ce qu’elles sèment, nous rapporterons donc nos déchets auprès de ceux qui les distribuent, nos lieux de vie n’ont pas à subir les résultats de notre consommation. »

 

– « Ah oui, et comment ? On les ramène à la caisse centrale peut-être ! »

 

– « Les containers qui ont fleuri un peu en tous lieux, nous leur offrons. Les grands magasins prendront en charge leurs frais de déplacement et les aménageront à leur guise sur leur parking, quand on voit comme elles s’appliquent à donner une image rayonnante de leur station-service, parions que nos poubelles retrouveront une seconde vie plus rutilante. »

 

– « Vous paraissez tellement sûr de vous, c’est consternant ! Vous affirmez sans savoir, sans avoir de données précises, et si ce que vous avancez ne marchait pas ? Quel désastre ! »

 

– « Sur ce point, vous avez raison, je ne suis pas certain que ça marche, mais actuellement, notre fonctionnement n’est-il pas déjà un désastre ? Il faut nous l’avouer, il est difficile de faire pire, ça vaut peut-être le coup d’essayer. »

 

Tout ça paraissait aberrant, inconcevable, inadmissible… irréel… tellement suicidaire…

 

Ce fut une catastrophe… Notre président arracha les derniers cheveux de son crâne.

 

La résistance s’organisa rapidement, des commandos poubelles déversaient volontairement des fatras de détritus dans les zones les plus remarquables, ils balançaient la crasse dans les jardins publics et les rivières.

Les mairies conduisaient la résistance, et refusaient l’enlèvement de leur container, mais n’en rajoutaient pas, c’était déjà un point de gagné pour le président.

 

Les associations ne l’épargnaient pas non plus, elles récusaient toutes les argumentations du président qu’elles jugeaient régressives aux bons conforts des citoyens. Elles levaient des campagnes de propagandes impressionnantes, entrainant les victimes dépoubelisées du président dans une grande rébellion, leur revendication principale portait sur la privation de nos saintes libertés de consommation.

 

Le président souhaitait une bonne acceptation de son idée et ne persécuta pas les récalcitrants, il se disait que les choses allaient s’orienter à l’évidence, que la compréhension viendrait d’elle-même.

 

Sa politique était de plus en plus controversée, notre président commença par douter du bon augure de son ambition, il s’entêtait dans ce qui semblait devenir la pire hérésie de notre temps.

 

Les poubelles en plastique n’étaient plus ramassées devant les maisons, et devenaient inutiles, les riverains commençaient leur retrait, aux places restées vides, certains entreprenaient de planter des fleurs ou des arbustes.

 

Les petites entreprises avaient compris l’intérêt de moins jeter, donc de moins consommer et s’organisaient davantage avec les déchèteries.

 

Les grandes surfaces n’avaient pas eu trop d’effort, une fois qu’elles avaient aménagé des espaces de récupération, elles prenaient garde à leur entretien, leur image de marque en dépendait, certaines avaient embauché du personnel de gestion, elles en avaient profité pour en faire un impact commercial d’intérêt général : C’est à celle qui offrirait le meilleur service dans la récupération, chez certaines on vit carrément des bacs récupérateurs ne rougissant pas d’un parc Disneyland, cette fois, plus question de Greenwashing, mais bel et bien d’un service associé à l’écologie. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, elles incitaient à mieux recycler  ! Et puis, elles comprirent vite leur intérêt : moins elles auraient de déchet à « gérer » et plus elles y gagneraient en rentabilité, l’évidence était là, vendre des produits contenant moins de rejets…

 

Ce qu’elles firent rapidement, en proposant des produits de moins en moins emballés, de plus en plus simples, elles imposèrent une pression dont elles possèdent le secret envers leurs fournisseurs.

Les petits producteurs s’en félicitaient, les emballages pour la plupart inutiles avaient un cout non négligeable, quant aux grandes filières, elles s’organisèrent, puis les multinationales commencèrent à penser autrement et devaient rapidement réagir et s’adapter à la demande du consommateur : elles pensaient que d’autres présidents allaient suivre le mouvement s’il fonctionnait.

 

Le consommateur devait faire l’effort principal de s’organiser à rapporter ses déchets au supermarché, mais finalement, dans un container de village ou celui du grand magasin, quelle était réellement la différence ? Le sac de déchet était ramené le même jour que les courses.

 

Les citoyens comprirent que moins ils avaient à ramener, mieux c’était pour eux en définitive : une seule poubelle de « stockage » à domicile les incitait à moins consommer de produits suremballés, après tout, ils étaient les seuls maitres de la loi du marché et devenaient davantage décisionnaires de leur consommation.

 

Nous avions moins de packagings, nous consommions mieux et la nature s’en retrouvait allégée. Et puis, il faut l’avouer, nous réfléchissions mieux, nous devenions moins assistés et plus éveillés, conscients que l’univers et l’homme ne formaient qu’une seule et même conception.

 

Les associations opposantes perdirent progressivement leur autorité, plus tard on apprit que les plus opulentes avaient été grassement soutenues financièrement par certains lobbies de l’agroalimentaire, du plastique et du pétrole.

 

Les dernières mairies irréductibles s’aperçurent que leurs citoyens gaspillaient de moins en moins, elles retirèrent peu à peu leurs récupérateurs d’elles-mêmes, le président n’avait pas voulu organiser de chasse aux sorcières, comptant sur le bon sens humain retrouvé de ses élus.

 

Et puis, surtout, elles observèrent l’essentiel, les mairies voisines qui avaient très vite organisé le retrait, voyaient leurs villes et leurs villages revivre, les immondices avaient été remplacées par des tables et des bancs ou l’on pouvait prendre le temps de vivre, manger, discuter, on avait replanté des arbres, organisé des espaces de vie, disposée des œuvres d’art, construit des jeux pour les enfants, reconquit les espaces, redonner une nouvelle vue sur ce que nous avions de plus agréable : nos vies. Les êtres humains s’étaient réapproprié leurs lieux, et admiraient avec fierté ce qu’ils s’étaient confié de nouveau : leurs beaux endroits.

 

Et puis je me suis réveillé… Quel horrible cauchemar !

J’ouvris ma fenêtre et je vis sous la lueur du soleil levant, l’enfilade de poubelles en plastique dans ma rue chez chacun de mes voisins, la mienne était là aussi intacte et à sa place, les containers tagués régurgitaient traditionnellement au large. Tout était normal.

Je soufflais de soulagement, et je me dis que je pouvais continuer à consommer normalement sans que personne ne m’importune.

A découvrir

Crapouillot Laurent Michelot  conte utopik editions vivre et agir.png

Crapouillot
Conte pour petits et Grands
Auteur : Laurent Michelot

MON CHEMIN DE COMPOSTELLE Sylvie Moreau Utopik editions vivre et agir.png

Mon chemin de Compostelle
Aventure
Auteure : Sylvie Moreau

Couverture de livre avec découpe de cahier jaune (2).png

La 404 verte
Biographie
Auteur : Laurent Michelot

Couverture de livre avec découpe de cahier jaune (1).png

Moi aussi j'ai quelques choses à dire
Nouvelles et Poèmes
Auteur : Laurent Michelot

NOTRE NOUVEAU PRESIDENT couverture livre écologie vivre et agir.png

Notre nouveau Président
Roman
Auteur : Laurent Michelot

Quelque part dans le futur UTOPIK EDITIONS VIVRE ET AGIR.png

Quelque part dans le futur
Roman
Auteur : Laurent Michelot

Poèmes en Vrac UTOPIK EDITIONS VIVRE ET AGIR.png

Poèmes en vrac
Poèmes
Auteur : Laurent Michelot

bottom of page