«Être vous-même dans un monde qui tente constamment de vous changer est le plus grand des accomplissements » - Ralph Wald Emerson -
Laurent Michelot
J'aime la chasse
J’entends déjà mes intimes me tirer leurs premières cartouches : « à force de faire tourner le 45 tours de Chantal Goya en boucle, il a fini par changer son fusil d’épaule, à zigzaguer comme un zouave dans la forêt, il s’est pris du plomb dans l’aile, à trop vouloir lorgner les piafs la tête dans les nuages, il a fini par se tirer une balle dans le pied, pourtant, personne ne lui a mis le fusil sur la tempe !
J’admets qu’en gribouillant fébrilement une nouvelle sur la chasse, j’ai cédé pitoyablement à la tentation de toutes vous les refiler en lot celles-là !
Voilà, c’est fait, passons aux choses sérieuses !
Je comprends les ébahis, ceux dont je gave le foie de mes récits de canards ligotés comme des gigots dans la baie de Somme, ou ceux encore qui m’entendent crier haut, fort et sans réellement tenir à la vie plus que ça : « deux ! » quand on me demande ce qu’il y a de plus con qu’un militaire.
Je n’ai jamais éprouvé de compassion ni pour la guerre ni pour les armes ; sauf à la rigueur, quand un flingue brille dans les mains d’un révolutionnaire ; là, j’avoue, je voltige à la vue d’une baïonnette dans les pognes de Louis Mandrin, je frissonne du pistolet à silex dans les meurtrières du séduisant Cartouche, je crépite devant la pétoire contradictoire du beau Che, ou la 8/6 dégoulinante dans les manches d’un gilet jaune sur le rond-point du Castorama.
Soyons sérieux, j’aime la chasse.
La chasse, c’est noble.
La chasse… C’est s’émerveiller devant l’œil indolent du lion baillant qui lorgne sa meuf entailler l’arrière-train de l’antilope claudicante, c’est une meute de hyènes saigneuses barbouillant l’ennuyeux pelage répétitif du zèbre, l’alligator giclant des eaux saumâtres pour denteler l’échine du gnou le moins Weissmuller, c’est un guarani essoufflé traversant fiévreusement la BR-163 entre deux bahuts de soja, pour décocher tremblotant sa flèche en bambou dans le cul d’un caméléon cramoisi par le barbecue de la fazenda ; l’excitation d’une bombe chercheuse à Gaza.
Vladimir balade sa Kalash en Ukraine, il écrase ses rangers sur les boites crâniennes, en dégommant à la volée l’ours rare.
Non, ne rigolez pas, la chasse c’est noble.
Quand j’étais mioche, j’étais un peu comme le chasseur d’élite qui poireaute son dimanche en astiquant son Beretta, Eddy Mitchell et moi guettions, impatients, nos télévisuelles tueries programmées du mardi soir. Tout était légal, mon instant légitime résonnait comme un cor graissé, je m’alanguissais à l’apparition de mon somptueux cowboy : LE véritable John Wayne. Et là, je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne connaîtront certainement jamais sous les lilas du bonheur meurtrier.
Sous la moiteur de son chapeau, le front national ténébreux, entre deux vents frais américains du désert, il flairait à la ronde le moindre autochtone plumé qui pétait pas bon, ça allait bientôt chier dur dans les canyons ; le premier gazouillement du Geronimo perfide bullant au clair de lune émoustillait son pif nerveux, on ne fait jamais attendre un Sioux qui a organisé son décès sous les étoiles ; sans plus connaître la fin du crépuscule, il roulait une pelle bâclée à la belle du ranch et allait bander ailleurs.
Les autres couillons aux chapeaux tout pourris imaginaient un chacal au loin, mais pas lui, il en était certain, ces ordures de Lakota fumaient de l’herbe à deux pas de mitraille.
L’oreille tendue de mon demi-dieu percevait le coucouannement bruyant des sauvageons dans les rocheuses, aussi sec, la magie du désert offrait à ses pieds bottés, LA butte de sable adaptée, elle surgissait de terre en moins d’une flèche dans le chapeau, lors, le beau dadais avachissait ses deux mètres de muscles poussiéreux sur sa bosse sableuse comme un Casanova s’effondre en sortie de coït : du buisson fourni dans le kit de massacre, sa winchester se débraguettait comme une bite à déplumer.
La joie assassine humidifiait mes yeux ; le terreux dandy jouissait allongé sur sa motte et moi dans mon sofa ; le fusilleur de la Warner dégommait à la file indienne les bestioles à poney, un peu comme on décanille les pipes de céramique à la foire du Trône.
Les nuisibles à l’environnement virevoltaient joyeux de leurs mustangs immérités dans un jovial carnage immaculé ; ils iraient rejoindre leur putain de manitou, et la terre pouvait blanchir fertilement. Les dollars et Buffalo Bill réguleraient les dernières formalités et les bisons encore vivants. La nécessité de tuer était irréfutable à la bonne reconstruction d’un monde nouveau.
Clark Gable, la moustache fière, dans « The Misfit” se justifiait pour conserver l’amour de Marylin » si je chasse, c’est pour être un homme libre ». Tuer pour vivre donc.
L’idée de ressortir les images d’Épinal du sketch des Inconnus ne m’apparaît pas pensable, nous n’avons plus aucune nouvelle des Galinettes cendrées éclatées à bout portant de fusil ni d’autres histoires Bouchonnoises, ni incidents de chasseurs furtivement bourrés dégommant leurs clebs ou accessoirement leur gosse, un passant, ou peut-être un chat ici et là à la rigueur, mais ça ne compte pas. Soyons sérieux, nous parlons là du vrai chasseur, parce qu’il y a le bon chasseur et le mauvais chasseur et si vous ne voyez pas la différence, je ne peux plus rien pour vous !
Pénétrons dans la réalité, c’est là que se passe l’action, car réellement, comment ne pas se sentir moite quand à l’instant brumeux où tout ressuscite à l’aube, nous nous attendrissons du pas de l’homme de la nature, marchant sur la fougère, la casquette bandante, la botte Gamm-vert affranchie, le Remington turgescent, l’exaltation funeste.
Le kaki marche dans la rosée du matin, les joues joliment rosies par le rosé du matin.
Qui peut rester indifférent à ce doux filet de mort ?
Le chevreuil juste réveillé qui partait pisser derrière un buis, bing, une décharge dans son derche, le bécasseau tacheté qui chiait dans les roseaux, bing dans sa sale gueule d’emplumé, l’oie cendrée qui chouinait dans la savane, re re bing, une volée de plombs dans sa tronche de volaille ; un freux tout moisi fouillant dans les branchages, un petit pruneau pour décrasser le fusil ; une alouette des champs baisant dans les blés… ah merde, la bourde, un Colissimo à Pierre Rigaux juste pour déconner, on n’est pas des pédés.
Je vous le demande, comment rester impénétrable à la finesse d’une balle logée à la perfection pile entre les yeux d’un lapinou de 15 cm ? Dans les mottes, la bestiole éclabousse, asperge de son liquide juvénile la feuille de vigne de nos belles treilles, subtil métissage de la terre, du vin et du sang. Nos traditions unifiées en un seul bang.
Admirons l’artisan, qui à coup de créateur gourdin, harmonise gracieusement la tunique fade du blaireau enfumé. C’est moche un blaireau, ça vit dans un trou, ça pue, et ça ne sert à rien : ça ne se mange ni en blanquette ni à l’anisette.
On nous dit que quasiment la moitié des poisseuses bestioles abattues proviennent d’élevages, que l’on repeuple les bois des sangliers-cochons l’hiver, qu’on leur donne à bouffer comme à des mésanges, la populace jardinière défenderesse des salades de saison applaudit la régulation ; sérieusement, toutes ces bestioles broutent quand même l’herbe de nos campagnes non ? Entendons-les venir égorger nos plants sur nos plaines ? C’est à nous tout ça, pas à eux !
Les élevages sont quand même avantageux, avouons-le ; les lièvres par exemple, avant, ils sautaient partout, c’était chiant à décaniller en fin d’apéro, depuis, les zélés Zébulons aux oreilles de Mickey bondissent beaucoup moins haut, et ça, grâce aux sols grillagés de leurs batteries d’élevages nourricières, intelligemment étudiés pour la métamorphose amputée de leurs papattes sauvageonnes.
Depuis des lustres, les émigrés ragondins sud-américains à la fourrure répudiée, rongent nos berges ; il fait chier l’étranger à défoncer nos terres sans droit de propriété, il picole l’eau de nos rivières, on le voit bien chaque été, la plaie à la dent longue prive l’homme qui tente de survivre en irriguant son maïs transgénique.
Les loups bouffent les agneaux sans distinction, nous au moins quand on les cuit, on sait bien que ce sont des enfants.
C’est chiant les oiseaux, ça piaule partout ! Le week-end, on ne s’entend pratiquement plus tondre, Bing, une volée de plombs de 22 dans la vulve de la bergeronnette bruyante.
Vous n’allez pas oser prétendre qu’exploser la peau rêche des sangliers n’est pas favorable pour l’homme quand même ! Les pachydermes tout bourbeux viennent éventrer nos canettes de coca-cola vides dans nos faubourgs, si ça continue, les dépouilles des migrants afghans qui souillent nos belles côtes normandes se verront envahir par celles des éléphants affamés du Sri Lanka !
Sérieux, il est quand même normal de réguler à coup de flingue tous ces puants cochons aux dents sales qui pullulent, grattent, chiassent et baisent partout.
Est-il réellement possible de bouffer peinards nos merguez tout en pensant affectueusement aux cochons bretons enculés par les cravaches électriques d’Intermarché ?
Respectons l’orientation sexuelle zoophile des préposés à l’abattage de masse sans en appeler systématiquement au hashtag.
Avouons tout de même que la bouche empâtée, nous sommes sensiblement moins délicats.
Comment avaler sereinement un bloc de foie gras sans avoir mal au ventre, on se bouche le nez et comme tonton Jacques à Noël, on avale d’un trait rieur la gangrène du palmipède crevé d’un éclatement de son putain de bide sans huile de palme.
On ne peut pas rire et penser, on rit, c’est tout, surtout quand on est du bon côté de la fourchette.
Le 1er de l’année, voilà l’oncle Jacquot qui dégobille son pâté de foie gras dans les sacs jaunes, ce con offre ses charitables étrennes à la Malaisie.
La chasse, c’est nos traditions, Mossieur, et on ne plaisante pas avec nos racines tricolores.
Comme la galette des Rois, les dollars de Miss France, le gavage des coureurs du tour de France, les oies qu’on asphyxie, les grives qu’on scotche sur les branches, l’égorgement des blancs moutons, la castration à vif des cochons de lait, le découpage ovationné des queues et des oreilles, l’excision naturelle au scalpel.
Brigitte bardot n’a jamais rien compris à l’œil d’un âne qu’on vient d’émasculer, à la bave sanglante d’un taureau finissant d’arroser de sa vie la sciure de son tombeau applaudi, on pisse de tradition dans les tribunes.
Le chasseur aime son chien, c’est Macron qui l’a dit. Il aime sa meute tout comme il aime les oiseaux morts, le chasseur, pas Macron. Macron n’aime que son P.I.B. et ses centrales nucléaires.
Les chiens aussi aiment leur chasseur. En basse campagne, on aperçoit les molosses choyés au Royal Canin à prix de grossiste, crocs assoiffés et langues protéinées, born pour le génocide dominical. Pendant la semaine ils hurlent normalement et merdent en cage, ils attendent la libération de leur vénéré, qu’il sorte celui-là de derrière le béton grillagé, bientôt, ils s’entasseront dans la nasse de sa Rover, et mordilleront sous caution du poil libre.
Soyons admiratifs devant l’ingéniosité de la conception des clubs-vacances pour palombes organisés au fond des bois. Au détour d’un chêne masochiste harnaché, jalousons les subtils rouages, amoureusement câblés, les entrelacements de fil d’acier, les poulies étonnantes, ces balcons mécaniques du septième ciel et tous ces étourdissants ascenseurs, il nous prend d’envier le plaisir de ces innocentes petites putes cajolées exhibitionnistes qui offriront la mort à leur confrérie migratrice.
Nom d’une Artémis en plastique, après relecture, je me torpille à la chevrotine en excuses de ma bévue cynégétique : il déambulerait autant de caméléon en Amérique du Sud que de chasseur écolo dans un Biocoop !
Je remplace la bête par des kangourous.
Les kangourous, ça pisse et ça court partout dans le désert, c’est chiant, quand on leur roule sur la gueule, ça rouille les essieux sous les roues des 4x4.
En France, la fédération de chasse l’a affiché cet été dans sa campagne de pub, leurs fidèles élites francs-tireurs nous soutiennent la fleur au fusil, car en zigouillant ces cons de cerfs inattentifs aux abords de nos voies goudronnées, les vénérables snipers des forêts protègent au quotidien les ailes droites de nos S.U.V..
La photo de la pub ne ment pas, on y remarque en gros plan, une de nos belles épaves de bagnole scandaleusement bousillée par l’empreinte d’un bestiau chaud bouillant.
En canardant ces incontrôlables fumiers échappés du bois, nos bienfaiteurs licenciés du pétard promettent le bonheur gazolé sur nos routes mortifères comme un dernier rempart au carambolage poilu de nos tôles encore sous crédit.
Un gars avait gagné au casino. Pas en jouant, non, on gagne pas au casino, le veinard avait honnêtement ouvert une palanquée de machines à perdre du côté des stations thermales pour vieux beaux riches qui s’emmerdent les pognes avec des billets de cinquante.
Le gagnant du gros lot s’était rapidement autorécompensé roi de la forêt en rachetant la moitié de son département et immédiatement, le boisé précurseur néo-écologiste avait muré proprement ses sols forestiers au cas où des connards de cueilleurs de champignons auraient eu l’idée de venir y patauger en sandales.
Le paysagiste-croupier avait couru les établissements réputés en cibles vivantes et avait rempli sa campagne de poils naturels et plumes de qualité supérieure à la normale. Le philanthrope animalier proposait chaleureusement à ses congénères armés de zigouiller légalement dans ses propriétés, des pensionnaires tricards contre une poignée de dollars européens, c’est pas gratuit, faut pas déconner quand même.
Le Disneyland du sanglier battait son plein, ça dessoudait fort dans les allées balisées, et ce n’est qu’en fin de loterie qu’on alignait les bestiaux troués en rang de jetons pour mémoriser l’instant sur pellicule avant coagulation.
Les jolies saignées dégoulinaient coquettement sous les bottes des vainqueurs fiers et déconneurs, on pouvait rire en compagnie des fumants néo-trépanés tout en buvant l’instant et en rotant des bières.
Sans devoir payer plus cher, les plus nostalgiques déposaient leurs photogéniques couilles durcies sur la croupe molle des défunts suintants avant putréfaction, l’image pieuse, une fois encadrée embaumerait d’un degré suprême le musée du bonheur, elle trônerait superbement sous les têtes de cerf momifiées du salon des bons amis de la cartouche de luxe.
Dans des ranchs du Texas, si tu veux, tu peux assassiner des antilopes d’Afrique à l’espèce éteinte, une bonne preuve humaine de préservation.
Mais dans ce cas là, bien évidemment, nous ne sommes plus dans le cadre du Pinot simple flic de l’éjaculation forestière, mais sans aucun doute dans le cabinet de monsieur le préfet de police : ça douille dans le portefeuille. N’est pas bon chasseur aristocrate sans oseille qui veut.
Parfois c’est la tragédie, ça dérape. Certes, en fin de journée, un chasseur un peu plus vieillissant peut très bien confondre de loin une sarcelle à ailes bleues et un Renault Scénic de la même couleur.
Ça arrive, même aux meilleurs décapsuleurs de canettes de l’ouest ; et puis, si ça se trouve, le bonhomme sur la route, il avait mis son clignotant avant de déboîter ? On ralentit un minimum quand on voit un chasseur dans son rétro.
On siffle près des palombières pour ne pas s’en prendre une dans les dents, tapons des pieds sur les routes et les bestioles seront fusillées sans bavures.
Et puis franchement, tenter la forêt le dimanche en jogging, c’est osé, comme si un poilu déménageait ses guêtres d’une tranchée à l’autre, comme un indigène pétant sous la même lune que John Wayne ou un pédéraste guilleret paradant au buffet annuel des amis du sanglier.
Prenons des couleurs dans ces bois trop monochromes.
Fini de frimer en fuchsia dans nos polos Lacoste, pour être canon dans les contrées pétaradantes, défilons chic et naturel avec le gilet fluo-pétrolé Décathlon, un don charitable aux enfants du Bangladesh :
Rouge : je stoppe le tir nourri.
Orange : je freine la mitraille.
Vert : je trucide sereinement.
Est-ce que tout ça est sérieux ?
Merci de m’avoir lu jusqu’au bout, je tiens à remercier les assos et ces humains qui se battent au quotidien, qui me redonnent espoir en l’humanité et qui m’inspirent un monde meilleur : Pierre Rigaux, Hugo Clément, L’ASPAS, LPO, Greenpeace, SeaSheperd, One voice, L214, OWAP France, CIWF, AVA,La fondation Brigitte Bardot, The sound of animal, WWF, Refuge Groin groin, les 3 dindes, Centre Athenas, non à la chasse Facebook, Jean-Michel Bertrand, Yan Arthus Bertrand, Sylvain Tesson, Cyril Dion et toutes les autres, de plus en plus nombreux, que ceux que j’oublie pardonnent mon ignorance, pour tous ces gens qui aiment les animaux et les défendent de la barbarie humaine.
A vous, à nous, à un univers paisible et retrouvé.
Et tous ces oiseaux
Qui étaient si bien
Là-haut dans les nuages
J’aurais bien aimé
Les accompagner
Au bout de leur voyage.
Michel Delpech.
Laurent Michelot
Quelque part dans le futur
Ils avaient déchiré le ciel de leurs narcissiques tours de bétons telle une conquête impuissante ; sous les ombres des inertes géantes, les hommes s’aggloméraient, grouillant comme des troupes d’insectes nains.
De loin, leur orgueil semblait contenu.
Depuis quelques décennies, le ciment avait rongé les collines, lézardé les horizons ; on obstruait les rivières, envahissait les plaines, ravinait les montagnes, puisait les sols, militarisait les forêts, taraudait les sables, fouillait les océans, lacérait le ciel, épuisait les lacs.
Les taciturnes boyaux crachaient au ciel leur puante fumée, d’autres gerbaient leur bouillon funèbre dans les cours d’eau.
Dans un vacarme ininterrompu, les rubans de pétrole propulsaient dans l’atmosphère leurs vrombissantes bombes cancérigènes.
La vie s’amenuisait lentement, les animaux périssaient, les hommes s’éteignaient, même les arbres crevaient.
Les multinationales accaparaient le pouvoir, elles polissaient les âmes de leur règne souverain ; les fortunés établissaient les normes, définissaient les plus efficaces au bien-être de l’humanité ; chacun avait dicté ses inébranlables convictions.
Le pouvoir exécutif paradait, les mains nanties actionnaient grossièrement les fils de ces virtuelles poupées de chiffons dirigeantes de partis sans prestige. La pertinence n’avait plus l’utilité d’exister, elle se cantonnait à sembler.
Les pseudo-pouvoirs à la solde abdiquaient sous les dollars.
Les ombres décisionnaires nourrissaient soigneusement la moitié des hommes et abusaient de l’autre moitié.
La plus pourvue des parties vivait pour leur macabre expansion, l’autre mourait pour la première. De faim, de soif et de manque de vie.
Leur machination était grassement profitable, les ogres chocolatés farcissaient leurs marchandises dans le cortex des enfants ; leur évangélisation de la vie sécurisée, cadenassée, aseptisée était déterminée par les seuls codes de leur confort quadrillé.
Les messages se précipitaient, cognaient dans nos esprits pour mieux les infiltrer, s’imbibaient dans nos peaux, les écrans s’allumaient aux quatre coins du globe, même les plus démunis devraient accéder aux lois de l’innovant marché.
Tout était proprement disposé sous nos yeux, nul effort ne restait à faire ; nous devions nous comporter, manger, penser, récupérer nos forces, marcher comme ils le soutenaient. Leurs méthodes promettaient logiquement le bonheur sur mesure.
Ils savaient comment régénérer nos peurs, comment en tirer profit, nourrir nos différences, nous voir abdiquer vers une vie idéalement platonique ; ils nous bichonnaient comme un berger pourrait bichonner ses moutons. Nous bouffions leurs pets bienfaiteurs.
Ils massacraient. Sans cesse, ils trépanaient ; leur prophétie de destinée alimentaire s’articulait studieusement sur un vaste champ de combat, là se débattaient cochons égorgés vifs, folles vaches pendues, oiseaux de basse-cour goinfrés jusqu’au trépas, poules crevantes, phoques décharnés, oiseaux collés aux branches, poissons décimés, lapins d’élevage fusillés, plantations abreuvées de cancer ; tous ces cadavres finiraient nettoyés de toute suspicion, friands et harmonieusement empaquetés dans du plastoc pour nos beaux yeux.
Nous avalions sans geindre, déjà trop bien absorbés par leurs visuels transplantés dans nos vies ; de nos cerveaux agonisants, nous les contemplions incruster scientifiquement leurs nouvelles créations mortifères dans nos esprits, nos corps et nos âmes.
Mais des belligérants subsistaient ; les récalcitrants paraissaient ne rien comprendre à notre système balisé ; cette minorité de perfides idéalistes ne souhaitait pas se soumettre, pis, ces utopistes blasphémaient l’ordre établi ou encore, critiquaient étrangement le chemin de la saine conduite ; ceux-là, nous devions, nous, le bien élevé peuple consommateur, les désigner des dix doigts, pour cela, il suffisait de claironner fort et haut leur perfidie, les décrire comme innommables, avancer notre haine légitime sans cessez-le-feu aucun ; il devenait convenant de nous démontrer l’essentielle évidence : leur liberté et leur démence apparaissaient dangereusement synonymes ; au pire, elles paraissaient inexcusables et surtout hors de notre temps ; ne vous conduisez pas comme ces hurluberlus, commandaient-ils aux humbles et paisibles commodes alignées ; les doux rêveurs se canalisaient finalement, sans véritables armées ni munitions, le risque demeurait insignifiant.
Cette vision apparaissait donc peu imaginable ; leur vendre une pincée de greenwashing infirmerait la tournure de leur insurrection ; à coup sûr, ils disparaîtraient s’éreinter les méninges verts dans les trous de leur campagne subsistante. L’avenir ne semblait pas être de leur camp.
Une rébellion écologique commune à l’humanité et tout était foutu.
Il tressaillit, réveillé par son improbable cauchemar ; synchroniquement, l’antique pendule tinta à cinq reprises ; bientôt, l’éclat du jour l’emporterait sur l’obscurité de la pièce où il se reposait ; il ouvrirait la porte de sa vieille bicoque de pierre, s’étirerait sur le perron comme chaque jour de sa discrète vie, admirerait la montagne et saluerait le temps, tel qu’il apparaîtrait.
De retour à la réalité, il pensa que cette journée du 24 octobre 1965 serait l’une des plus agréables de sa vie, que les merveilles qu’il percevait de son environnement ne pouvaient le faire songer à un autre avenir.
Laurent Michelot
Plaisir d'offrir
On sonne à ta porte, tu vas ouvrir, l’homme tend sa carte peinturlurée bleu-blanc-rouge, c’est le président de la République, sous son aisselle dorée, il porte un bagage, tu le laisses entrer.
- « Je vous le dépose sur la table du salon, c’est fondamental à votre existence ! » assure l’élite tricolore alors qu'il place l’inattendue offrande au cœur de ta maison :
– Ce n’est pas nocif, je vous en donne ma parole d’homme bien né, par contre ni touchez pas, sinon, risque de déflagration et d’anéantissement massif de votre lieu, vous serez écharpé, vos proches radiés, vos voisins handicapés, compris ? !
- « je laisse donc ce… enfin cette chose au centre de… de… ma vie ? »
- « Oui vous pouvez, sans aucun danger, on vous le promet ; tournez et dansez autour, contemplez-le de loin, mais surtout ne le frôlez pas, sinon, c’est une mort épouvantable et sournoise. Vivez ordinairement en bonne harmonie, on s’occupe de tout, vous êtes sous notre surveillance. »
- « mais… à quoi ce… enfin, ce… cadeau va m’être utile ? »
- « faites-moi confiance, il vous servira grandement, par exemple, vous pouvez continuer à manipuler votre four micro-ondes, votre blinder et recharger votre brosse à dents électrique furieusement plus qu’il ne le faut, c’est le confort non ? ! »
- « Ce… cette substance qui ruisselle dessous… qu’est-ce… »
- « Trois fois rien misérable ! Cependant, n’y touchez pas, sinon c’est l’irradiation immédiate, la certitude d’un trépas atroce et lancinant, ne cédez pas à la panique, à l’occasion, nous avancerons le récupérer, rassurez-vous, nous l’emporterons très loin de chez vous et de votre regard, à l’autre bout de la terre, en Sibérie, nous l’enfouissons en masse, bah, là-bas, il n’y a rien, enfin, rien de bien qui mérite notre compassion, vous pouvez dormir sereinement sur vos deux oreilles ».
- « Merci beaucoup, monsieur le président, je vous sers un café sur la table du salon ? »
Aux victimes de Tchernobyl et Fukujima, à la faune marine, qui dix ans après meurent des poubelles japonaises.
Laurent Michelot
Betty
Je te quitte Betty.
Quatre mots.
Dans ces quatre mots, il y avait mon prénom.
J’avais bientôt 46 ans. Julien venait de me quitter. J’aurais pourtant aimé continuer tracer la vie avec ce mec, mais non, CE mec avait cessé de m’aimer. Mon Julien partait vivre sa vie sans moi.
Il m’avait donné rendez-vous à la Girafe, le café où l’on s’était rencontré quelques mois plus tôt, il me l’avait annoncé comme le gentleman qu’il était.
« Je ne veux pas te faire souffrir », avait-il prononcé en adoptant la petite mine triste que j’aimais tellement quand il s’engouffrait dans ses moments de doute. Il me renvoyait dans le passé, je me revoyais le rejoindre chez lui, il pleurait, écrasé sur le bras de son canapé, je m’attendrissais, et je craquais, j'enlaçais sa jolie tête d’homme paumé contre ma belle poitrine, ses larmes s’évaporaient à travers mon chemisier, glissaient dans la courbe de mes seins.
Nos huit mois avaient été délicieux, j’apprenais sa délicatesse, celle qu’aucun homme ne m’avait apportée, je respirais son euphorie, sa conduite irrationnelle m’enivrait d’une fantaisie douce, je riais à ses blagues d’adolescent et pleurait avec lui quand il s’apitoyait sur une victime de ce monde en berne.
Il me gavait d’une liberté inconnue, nous parcourions le monde sans délaisser notre lit, et je vivais comme le vent de sa folie.
J’étais redevenue la princesse de mes rêves d’enfant.
Je m’étais offerte, je l’aimais, ma vie était lui.
Son amour s’était envolé dans son tourbillon irraisonnable, comme il était né de notre tourbillon irraisonnable.
J’ai rencontré Pascal un après-midi pluvieux à la ludothèque, il m’a complimentée, m’a dit que j’étais jolie, ses mots sont venus flatter mon égo, il en avait besoin.
Pascal est le genre de garçon à qui l’on parle sans penser, on lui sourit sans émotion, on respire son vide épidémique.
Pascal est un large brun, musclé, l’archétype du beau mec passe-partout, tout le contraire de Julien.
Il m’a invitée au Flunch, j’ai accepté, je me suis ennuyée. Tellement que j’ai déserté la table avant qu’il ait pu terminer ses frites à volonté, il s’est figé, le regard terne, la moitié de son steak cramoisi gisait dans son assiette de patates, l’autre moitié s'était coincée à l’entrée de sa gorge.
Pascal ne parle QUE de moto, c’est son sujet de conversation principal, il m’épuise très vite.
Je déteste la moto et les histoires de moto.
Moi, ce que j’aime, ce sont les arts, le théâtre, Woody Allen, Eric Satie et la littérature anglaise, Pascal n’aime pas tout ça, il n’aime que la moto et les hamburgers.
Je suis végétarienne, il engloutit toutes les viandes.
Il m’a invitée au concert de Bernard Lavilliers, il n’aime pas ce chanteur, il a fait cet effort pour moi, je l’ai supporté, sa compagnie m’insupporte.
Il m’a raccompagné chez lui en moto et je lui ai cédé.
Nous communiquons de mots sans saveur, j’endure sa voix, je déteste le contact de sa peau, son odeur m’écœure, j’aime quand il n’est pas là, je suis avec lui.
Nous vivons ensemble depuis 8 ans maintenant. Tout va bien.
Laurent Michelot.
Les chiens de la Meseta
J’entrai dans le désert de la Meseta, cette étape de Compostelle était redoutée par les pèlerins, certains la refoulaient, la journée s’annonçait brûlante et difficile.
Le chemin était interminable et rectiligne, monotone et sans eau. Mes gourdes étaient déjà vides, la chaleur étouffante. J’avais soif.
Ils jaillirent des taillis secs qui balisaient ma route de sable depuis mon départ, les deux chiens s’approchèrent de moi, comme si j'étais l'aubaine.
Ou plutôt, étaient-ce un chien et une chienne.
Mon premier réflexe fut de me méfier du couple inconnu, puis, ils vinrent à moi, avaient-ils été abandonnés dans ce lieu sans habitation ?
Le mâle s’approcha, je tendis ma main, il m’offrit son front. Il restait attentif à sa femelle, elle était peureuse et gardait quelques mètres d’écart tout en conservant méthodiquement la protection de son compagnon .
J’avais un peu d’eau dans ma gourde, je la partageai jusqu’à la dernière goutte, il me restait encore quelques kilomètres, peut-être une dizaine jusqu’à la fin de l’étape.
Mes compagnons de galère marchaient à mes côtés, comme moi, ils tiraient la langue.
La réalité était la maison qui nous abriterait pour la nuit, je voulais que ce moment se termine, et qu’il ne se termine pas.
Ces deux-là s’aimaient, un amour agréable qui me contamina, j’allais chérir ces chiens durant ces kilomètres, comme on peut chérir un autre pour quelques moments.
Je le savais.
Car tout à une fin, j’arrivai au bout de mon chemin, et près d’une fontaine, nous avons bu jusqu’à éclater.
J’ai voulu arrêter mon chemin, revenir en France avec ces deux-là dans mes bagages, pourquoi ne l’ai-je pas fait ? La vie se décide parfois en quelques secondes, j’ai dit à l’aubergiste que ces animaux avaient sûrement été abandonnés, il a appelé sur-le-champ la Guardia.
C’est à ce moment-là qu'ils me quittèrent.
La police allait les embarquer pour je ne sais où, j'imaginai le pire et je me mis à pleurer.
De la chambre de mon auberge, au premier étage, je regardais les rues du village, je tournai la tête sur la gauche et je les aperçus.
Ils étaient là, comme évadés de nouveau, ils marchaient côte à côte vers la sortie de la rue.
J’imaginai le mieux et je me mis à pleurer
Laurent Michelot
« Je suis un Ange »
Quand j’étais minot, je faisais les pires conneries, je volais, on entrait à 5 ou 6 dans l’échoppe de la grand-mère qui vendait ses bonbecs dans le vieil Angoulême, la malheureuse flippait en nous voyant envahir sa boutique, son désespoir nous réjouissait, on lui piquait tout, on achetait deux malabars et on ressortait les poches de nos blousons pleines, ça l'a conduite à la ruine.
Comme le vendeur de pétards de la place du champ de Mars, l'un négociait les claques doigts, l’autre planquait les bisons 1 sous son pull, le marchand était moins sympathique que la vieille, mais ça, en définitive on s’en foutait royalement, on pensait surtout à nos pommes.
On était des petits anges devenus une meute de démons.
Je volais, et volais de nouveau, le crime était devenu la meilleure communion à ma vie, j'engrossais tout dans mes fouilles, quelquefois, j'étais obligé de fracasser pour prendre, je vomissais la terre entière de son abondance et qu'elle fasse tout pour m'en frustrer, le bien des autres toisait mon néant, j’espérais les mêmes Adidas que les laquais à lunettes. À l’occasion, un moustachu me chauffait l’oreille, je lui tendais le doigt et je détalais, je cognais ceux qui tentaient de m'exclure de la jouissive farandole. Tout ça, sans remords, ni regret, ni compassion.
On ne m’a pas tué.
Je me suis marié, j’ai eu des enfants, un travail, une maison et j'ai exhibé mon S .U.V. dans son allée comme mon semblable, j’ai fait cuire des merguez sur mon barbecue du dimanche, joué au bowling et bu des coups pour oublier le lundi. Je me suis couché à 22h30 après le programme de TF1, prêt à servir mon pays pour une gorgée d’euros, avec le dessein de recommencer à manger mes merguez du week-end jusqu'à 64 ans. Ils m'ont gracieusement autorisé à rêver ma vie à la téloche sous perfusion.
J’ai attendu le début du mois pour m’offrir mes nouvelles Adidas et ma cinquième semaine de vacances à Saint-Lary. Puis j’ai revoté pour eux.
Je suis devenu un ange. Comme on m’a demandé.
À toi, Nahel.
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Laurent Michelot.
Ma bio résumée
Cette belle planète recueillit mes premières respirations à l’automne 65. À l’aube, quand les tours titanesques cerclaient mes horizons, je leur offrais le regard hight key de ma binette poulbote, c’est du cahot sans mains que surgit mon émancipation d’autiste précoce.
Puis, comme tout enfant de bonne condition, je grandis miraculeusement sous les secousses conformistes de mon père et les mots bourgeonnants de ma mère. Dans la fraîcheur de l’enfance, ma chair s’agrémentait gracieusement d’échancrures multicolores, des jolis carmins aux turquoises variables des îles, j’apprenais les arcs-en-ciel de la vie ; mon âme s’épanouissait délicieusement au fond de cette infante existence paisiblement violente.
Couronnés de leur belle expérience, à tour de rôle ou parfois simultanément selon leurs disponibilités, mes deux protecteurs, sagement en bons pères de famille comme on le lit dans le voisinage, perfectionnaient mon instruction à coups de massue, une méthode éducative dont ils enfermeraient la plénitude et ses utilités dans leurs caveaux fleuris. Par exemple, le plus robuste des deux, de sa belle main trapue, me transmettait ses agressives qualités physiques, l’autre personne, terriblement plus exquise et spirituelle, m’enseignait son langage verdoyant et son lot d’honnêtes pseudonymes castrateurs.
Bien heureusement, les piliers avaient eu la délicatesse de me prévenir de bonne heure : « tu dégages à 18 ans avec ton linge sale ou tu nous payes une pension ». L’option généreuse offerte à l’enfant prévenu orientait mes lendemains sans appel; c’est donc à 16 ans que ma vie et moi décidions de déblayer notre bagage de la maison du bonheur, rêvassant déjà d’autres entailles.
Je me dégageais vivant du carnage, voyou de liberté au bonheur, je commençais à me faufiler dans la vie parmi les respectables égaux ; puis plus frauduleusement, j’entreprenais d’embrasser la carrière de photographe et mes essentielles premières amoureuses interdites.
Mes prophètes co-géniteurs m’estimaient de loin « tu ne feras jamais rien de bien dans la vie, pauv'con ». La suite décida du contraire.
L’enfant négligent admire en solitaire l’amour du mal gangrener les dingues adultes condamnés au viol de la pureté, aucune arme autre que celle des mots tardifs ne lui est plus imaginable.
Ma continuation présente est toujours audacieuse, j’apprends toujours à m’aimer.
À tous les enfants. Aux autres aussi.
Laurent Michelot
« L’imposition d’être, de faire et de paraître »
Mon prof de gym au collège s’appelait Carn, c’était un vrai con, il voulait que je saute son mouton dans le sens de la longueur, je devais le faire pour réussir, et qu’il me refile sa bonne note. J’ai passé des heures à essayer, je retombais sur le cul au bout du truc, et plus j’essayais de faire ce qu’il me demandait, moins j’y arrivais et plus je désespérais. Moi qui étais si agile à grimper dans les arbres, oui, mais cette discipline n’était pas reconnue, on en avait choisi une autre à ma place. J’ai souffert de cet échec, je ne me considérais plus à chaque fin de cours, je culpabilisais d’être mauvais, je l’étais forcément, puisque d’autres y arrivaient, et ce con était devenu mon bourreau. Il voulait qu’on joue au rugby, alors pendant un an on a joué au rugby, moi qui aimait jouer au foot. C’était chiant comme la vie qu’on m’apprenait contre mon gré. Un jour, j’ai voulu rejouer au rugby et j’ai aimé, parce qu’on ne me l’imposait plus.
J’ai refusé d’apprendre à parler anglais, la langue de l’avenir, disaient-ils, tout le monde devait savoir parler anglais. Je m’en foutais de parler anglais. En français, on m’imposait Molière, moi je préférais lire Pif et Hercule dans mon arbre. Alors on m’a dit que je ne faisais pas partie de l’élite, que j’étais un naze. Avec Eric, mon jumeau de cœur, on lui pétait la gueule à l’élite, elle reflétait tout ce que l’on ne pouvait pas devenir plus tard, nous étions des incapables. Nous sommes devenus des voyous et des voleurs. Des rebuts.
Vous ne ferez rien de vos vies, nous disaient-ils, vous êtes des bons à rien, des enfants déjà déchets. La conseillère d’orientation m’avait dit, tu ne sais rien faire, je te fais rentrer en C.A.P. tourneur fraiseur, j’avais répondu que je ne voulais pas faire ça, elle m’avait dit : « je ne peux plus rien pour toi ». Mon pote Eric a monté sa boite au Maroc, il a employé une vingtaine de salariés, moi j’ai étudié la photographie et j’ai créé mes entreprises, j’ai créé des emplois, j’ai donné de l’argent à cette société qui m’avait éduqué.
Récemment, un influenceur a écrit : « Pour être heureux, il faut avoir un projet ». J’ai bondi en lisant ça, encore une imposition au bonheur. Je savais de quoi je parlais, des projets, j’en ai eu toute ma vie, ça ne m’a jamais mené au bonheur, j’ai trimé, c’est tout. Je vivais comme ils me le demandaient, cela me permettait de respirer, de rentrer dans leurs rangs, mais pas de me rendre heureux. J’ai imaginé tous les gens qui n’avaient pas de projet, le poids qu’ils peuvent ressentir en lisant ces impositions aussi culpabilisantes.
Avoir un projet, des idées, c’est peut-être bien, mais ce n’est pas une nécessité absolue, on peut être heureux différemment, être heureux, c’est autre chose que d’être conditionné par la vision d’un autre.
Le danger est d’associer des mots pour en faire des vérités, notre société fonctionne toujours avec ces conditions binaires.
Si nous ne faisons pas comme ils disent, ils apprennent aux autres à nous montrer du doigt. Si tu ne penses pas comme eux, tu es rejeté, tu es catalogué, estampillé, complotiste, et tous ces nouveaux mots à la con qu’ils inventent sans arrêt pour nous mettre en marge et nous éviter de contrer leurs idéologies.
Ils nous notent comme à l’école, comme le fait Amazon pour mieux nous donner des carottes, ils nous veulent esclaves pour entretenir leur P.I.B., c’est tout ce qu’ils veulent de nous, nous aligner pour nous compter et nous rendre dépendants de leur société, même leurs camps de vacances sont dégueulasses. Ils nous foutent dans leurs cités pourries et viennent nous serrer les paluches dedans pour nous rassurer. Nous devenons des zombies à leurs ordres, nous mourons à petit feu. Nous consommons comme ils veulent, ils nous proposent leur nourriture empoisonnée et nous la bouffons, nous devenons fous et dépendants. Ils le savent, et ça marche. Ça marche parce que nous le faisons, nous leur obéissons. Nous marchons comme des morts dans les files d’attente, ils nous piquent autant de fois qu’ils le veulent, car ils nous veulent comme ça et le pire, c’est que nous allons encore voter pour eux.
Dans un autre temps, un conseiller du roi lui avait dit que le blé du royaume avait été empoisonné, si son peuple le mangeait, les gens deviendraient fous. Qu’ils le mangent ! avait ordonné le roi, nous, nous mangerons le blé qui reste sain. Son conseiller le dissuada, si nous ne mangeons pas le même qu’eux, c’est nous qui passerons pour fous et le peuple se rebellera.
La planète crève de leurs conneries, nous chions partout des pesticides et du béton, nous bouffons ses animaux à longueur de journée, nous les maltraitons et les tuons comme des meurtriers. Ils nous ont lobotomisés pour que nous ne nous en apercevions plus.
Ils sont au pouvoir des multinationales qui nous gavent de pub pour nous diriger comme des brebis, nous n’arrivons plus à penser autrement qu’eux. Nous pensons comme eux.
Dans un laboratoire, pour une expérience, on avait enfermé des rats derrière des barreaux verticaux pendant une bonne partie de leur vie, puis on les avait changés de cage avec des barreaux horizontaux, les rats sont devenus fous.
Nos parents nous conditionnent depuis notre enfance, nous suivons leurs instructions, avec amour ou non, ils nous transmettent ce qu’on leur a enseigné avec leurs croyances : tu dois travailler pour gagner de l’argent sinon tu seras mis en rade de la société, parce qu’elle est comme ça la société, et elle n’est pas autrement, si tu n’as pas ton S.U.V. garé dans l’allée en béton de ton coin de terre, tu seras maudit par tous, isolé, et sans amis. Le pire, c’est que nous y croyons et le faisons.
Ils nous catégorisent par caste, de l’ouvrier au patron, et la plupart d’entre nous survivent à leurs impositions. Survivre est-il vivre ?
Nous devenons captifs de leur système, nous n’essayons même pas de fuir, nous nous enfermons dedans sans même penser qu’une autre façon de vivre puisse exister. Nous refusons toute autre forme de société que celle qu’ils nous imposent.
Nous sommes comme ils disent, nous faisons comme ils disent, nous paraissons comme ils disent.
Et pourtant, d’autres voies existent, ils le savent et nous les bloquent, ils ont implanté les peurs pour ne pas que nous dérivions de leur chemin, mais ce chemin est le leur, pas le notre.
Prendre un autre chemin serait l’effondrement de leur système, mais ils martèlent leurs paroles pour ne pas que nous entendions les autres.
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