Les Utopik Editions présentent
PORTRAITS
Laurent Michelot
«Il n'existe que des atomes et des espaces vides, tout le reste est opinion » - Démocrate -
Mes portraits sont inspirés de personnages réels,
je vous invite à les découvrir
Prochainement... un nouveau personnage à découvrir
Prochainement... un nouveau personnage à découvrir
Laurent Michelot
« Jeff a dévalé la pente »
D’après une histoire vraie
Jeff a été condamné. Un an dont 6 mois fermes. 0,71 gramme, deux ou trois bières et deux autos tamponnées. Délit de fuite. T’as déconné Jeff. Tu avais déjà flanché six ans plut tôt, ils n’oublient pas.
Ils l’ont mis dans l’hôpital psychiatrique.
À 45 balais, dans sa geôle, Jeff songeait à sa bien-aimée, elle l’attendait assoupie au fond du ravin, au fond de la montagne, au bout du chemin rocailleux, il savait que ses murs de pierre lui resteraient fidèles toute sa vie et sans jugement, elle le recueillerait portes ouvertes aux cieux comme un ange déchu dès qu’ils en auraient fini avec sa peine.
Jeff a installé le chien sur la banquette de son AX, y a accroché la remorque chargée du barda, quelques tuiles pour la baraque et a dévalé la pente déglinguée pour le voyage terminal, ni son épave cabossée quelques mois plus tôt, ni lui ne remonteraient jamais plus.
Jeff a caracolé le plus loin possible, là où même le 4x4 aventureux y aurait laissé son pot.
Sur le bord du chemin, dans la bagnole en rade, les futilités de son passé et l’ordonnance du juge pourrissent derrière le pare-brise de l’abandonnée.
En contrebas, on entend ton chien, je souris..., tu es vivant.
Tu m’as intrigué Jeff, imagine le mystère, de toi je ne connais rien, leur missive condamnatrice ne converse que d’eux, ah... si, une unique phrase de toi, ils l’ont consignée noir sur blanc dans leur sentence, parait que tu leur aurais dit :
« j’entends les oiseaux qui me parlent »
Laurent Michelot
« Betty »
inspiré de personnages et situations réels
Je te quitte Betty.
Quatre mots.
Dans ces quatre mots, il y avait mon prénom.
J’avais bientôt 46 ans. Julien venait de me quitter. J’aurais pourtant aimé continuer tracer la vie avec ce mec, mais non, CE mec avait cessé de m’aimer. Mon Julien partait vivre sa vie sans moi.
Il m’avait donné rendez-vous à la girafe, le café où l’on s’était rencontré quelques mois plus tôt, il me l’avait annoncé comme le gentleman qu’il était.
« Je ne veux pas te faire souffrir », avait-il prononcé en adoptant la petite mine triste que j’aimais tellement quand il s’engouffrait dans ses moments de doute. Il me renvoyait dans le passé, je me revoyais le rejoindre chez lui, il pleurait, écrasé sur le bras de son canapé, je m’attendrissais, et je craquais, j'enlaçais sa jolie tête d’homme paumé contre ma belle poitrine, ses larmes s’évaporaient à travers mon chemisier, glissaient sur les courbes de mes seins.
Nos huit mois avaient été délicieux, j’apprenais sa délicatesse, celle qu’aucun homme ne m’avait apportée, je respirais son euphorie, sa conduite irrationnelle m’enivrait d’une fantaisie douce, je riais à ses blagues d’adolescent et pleurait avec lui quand il s’apitoyait sur une victime de ce monde en berne.
Il me gavait d’une liberté inconnue, nous parcourions le monde sans délaisser notre lit, et je vivais comme le vent de sa folie.
J’étais redevenue la princesse de mes rêves d’enfant.
Je m’étais offerte, je l’aimais, ma vie était lui.
Son amour s’était envolé dans son tourbillon irraisonnable, comme il était né de notre tourbillon irraisonnable.
J’ai rencontré Pascal un après-midi pluvieux à la ludothèque, il m’a complimenté, m’a dit que j’étais jolie, ses mots sont venus flatter mon égo, il en avait besoin.
Pascal est le genre de garçon à qui l’on parle sans penser, on lui sourit sans émotion, on respire son vide épidémique.
Pascal est un large brun, musclé, l’archétype du beau mec passe-partout, tout le contraire de Julien.
Il m’a invité au Flunch, j’ai accepté, je me suis ennuyée. Tellement que j’ai déserté la table avant qu’il ait pu terminer ses frites à volonté, il s’est figé, le regard terne, la moitié de son steak cramoisi gisait dans son assiette de patates, l’autre moitié s'était coincée à l’entrée de sa gorge.
Pascal ne parle QUE de moto, c’est son sujet de conversation principal, il m’épuise très vite.
Je déteste la moto et les histoires de moto.
Moi, ce que j’aime, ce sont les arts, le théâtre, Woody Allen, Eric Satie et la littérature anglaise, Pascal n’aime pas tout ça, il n’aime que la moto et les hamburgers.
Je suis végétarienne, il engloutit toutes les viandes.
Il m’a invité au concert de Bernard Lavilliers, il n’aime pas ce chanteur, il a fait cet effort pour moi, je l’ai supporté, sa compagnie m’insupporte.
Il m’a raccompagné chez lui en moto et je lui ai cédé.
Nous communiquons de mots sans saveur, j’endure sa voix, je déteste le contact de sa peau, son odeur m’écœure, j’aime quand il n’est pas là, je suis avec lui.
Nous vivons ensemble depuis 8 ans maintenant. Tout va bien.
Laurent Michelot
« Suzy »
Histoire et personnage réels
Suzy est pastelliste à Ornans. Rencontre...
Ici, à Ornans, le seigneur incontesté c’est Gustave Courbet.
Le peintre et son « origine du monde » a défrayé la chronique en son temps, et à notre temps, Facebook avait de plein droit collectionné une salve de pouces baissés avec son « cachez ce sexe que je ne saurais voir », la censure et l’art n’ont jamais fait bon ménage.
Volubile Suzy, éclatante et affectueuse comme sa palette de teintes, la bohémienne veut illuminer mes instants, dans son échoppe, rayonnent mille phénomènes où mes yeux tentent un hommage inabouti. Elle est la racine des sens, sous ses doigts modifiés naquit l’origine de son monde, elle est ordinairement talentueuse, je la découvre dans toute sa multiplicité, le portrait confirme le nu sans l'envier, les silhouettes humaines troublantes et inattendues apparaissent mystérieusement dansantes dans les ombres de leurs abstractions. J’assume le désir d’apparaître de mon trou et m’invite à planer dans ses délires, mon envolée me demande peu d’effort, il suffit de me laisser happer par l’intemporalité .
Tandis que sans raison irrationnelle, je m'engage près de la poignée de porte, ramenant mes godasses vers la sagesse de mon terrestre chemin, Suzy semble m'inviter comme un enfant manquant d'une belle histoire...
C’était quand Ornans était en effervescence, pensez-donc, on commémorait partout dans la ville le prince Courbet, le moindre barbouilleur aux mains crades s’employait à défigurer les murs de compositions colorées détournées et lorgnées sans scrupule des origines de Gus.
Un hommage à l’homme léchant la toile du sexe féminin montré au monde.
Dans le cerveau illuminé de Suzy jaillit l’idée : « L’origine du monde » allait devenir « l’origine du mal(e) ».
Le féminisme et le patriarcat pouvaient se crêper le chignon ou la barbe dans les fins fonds des slips de la connerie patentée, car au bout du pinceau, tout n’est qu’origine fantasmée.
Une bonne grosse bite en milieu de tableau.
Voici de quoi choquer à nouveau le tout Ornans au-delà des frontières de la Loue, les descendants pourfendeurs du bon vieux Gustave tournaient leur langue sans cyprine, car là, il s’agissait cette fois de Suzy.
Exhibant facétieusement son crobard dénoté d'une sage collection, d’une sincérité plantureuse en cœur de ville aux yeux d’innocents badauds-otages, mais parions-le subjectifs et honnêtes, Suzy avait eu la sagesse de sa propre censure : Un rideau placé théâtralement obstruait la vue de l’objet en rut que personne ne saurait voir en live, l’impertinent admirateur oserait tirer le cordon libérateur, comme on tire le zip de culotte, déballant à l'air l’impénétrable turgescence, immédiatement propulsé dans la soudaine surprise, le complice du délit souhaiterait prouver la légitimité de son nouvel acte, débraguetterait mécaniquement son œil fugitif quasi chaste par-dessus l'épaule, puis comme si les anges passaient à poil, son soulagement surmonterait le rouge des joues à la faveur d'un alibi mitigé, comme une curiosité humide devenue acceptée et l'imprégnation naissante à la contemplation de l'art moderne finalement de bon gout.
De quoi rendre stériles les figées commères bourgeoises-bohèmes aux proches aguets.
Hélas, l'histoire avec une grande hache n'est que récurrence, l’ excommunication d’Ornans guillotina de nouveau, Gustave se retournait devant l’émoi.
Car un autre cerveau parallèlement roi artiste de l’association de Suzy censura de ces droits de maitre de cérémonie artistique : « Tant que je serais le président, JAMAIS une telle outrance ne bandera au centre de nos origines » trancha le militaire de l'art ornanais oubliant comment on décapita déjà la chatte de Courbet.
Un coup de pinceau instantané devait débander le tralala avant consommation, Suzy devait choisir entre un monde inébranlable et la porte ouverte aux turpitudes de l’autre.
Suzy, en fière rejetone de l'insoumis, ne céda pas, et lâcha l’assemblée avec sa bite sous l’épaule.
Elle n’y revint pas, et même si le président passa, d’autres offensés orthodoxes gronderaient du binocle bénédictin les nouvelles origines du monde, surtout celles où les sexes sortaient fâcheusement trop du calcif pour être acceptés comme une nouvelle liberté sous conditionnelle.
Gustave avait ouvert son sexe vers l'acceptation, c'était déjà suffisamment indécent pour être honnête en fin de compte.
Quant à Suzy, elle exposa plus tard son œuvre en galerie libre, et cette fois, sans aucun rideau ni calbut... Un nouveau sexe dessiné reprenait sa liberté, un sexe comme celui qu'avait risqué en 1866 le maitre Courbet.
Les Pastelles de Suzy ( y compris l’origine du mal(e) ) : www.atelier-de-suzy.fr
Boutique : 5 place saint-vernier - 25290 Ornans Merci Suzy de m'avoir inspiré ce portrait.
Merci Suzy, de m’avoir donné le bonheur de partager ce moment avec moi.
Laurent Michelot
« Michel, le berger royaliste »
Personnage réel / Rencontre en montagne.
Il vit libre, heureux et seul, ces trois qualités que nous vivons en commun annonçaient une rencontre évidente.
Le vieux Mobil home est collé juste au bas du village abandonné, la colline ensoleillée est dégagée plein sud, elle offre un vaste espace vert légèrement bosselé devant la paisible étendue montagnarde.
Michel vit ici seul , il est berger, les infos moribondes des ondes castratrices n’arrivent plus jusqu’à lui depuis des lunes.
Enfin seul , non pas vraiment seul, un troupeau de 250 bêtes l’accompagne, moit-moit de chèvres et de moutons.
Il vend à l’occasion ses chevreaux ( je régurgite silencieusement, moi qui ne mange plus d’enfants depuis que j’ai reconnu que seulement les ogres les mangeaient, parait il ).
« Je n’ai pas de chien, elles se gardent toutes seules, elles sont libres, je les laisse vivre leur vie » , me confie l'homme au bâton-juste-ramassé-par-terre, je ne les reforme pas, elles meurent de vieillesse. »
À l’évidence, celle qui trône comme une statue au centre de la bergerie fait plus que dormir.
- « Elle est morte hier », m’attriste l’homme, « c’était ma préférée » m’avoue-t-il d’un ton monocorde feint.
Les vautours lui restitueront la dignité de la montagne.
La vie enterre la mort. Ici est la vie, je la perçois dans cet univers revigorant.
Les cistes envahissants s’emparent des coteaux, les bêtes ne mangent pas ce buisson rugueux et parfois gluant, le berger fait appel aux autorités pour bruler les arbrisseaux pourtant joliment fleuris, je remarque aussi que l'herbe se fait rare. Les pentes de branches cramées habillent la montagne d’un sinistre horizon lunaire. Les bêtes se glissent sous les squelettes des tentacules de bois noir pour brouter les rares touffes d’herbes renaissantes.
Autour du Mobil home, les indices de vie du berger affirment la présence de son royaume : quelques bidons, des trônes de repos où l'on soupçonne les heures passées à ne plus penser au temps, une très antique carcasse de camion ( on croit imaginer le débarquement des ancêtres ), Michel est petit fils de berger, son grand-père a investi l'endroit quand le village était encore peuplé. « Ils sont tous partis, ils manquaient d’eau. »
Michel lui, est resté, il vit ici depuis un peu plus de 50 ans, il voit parader les touristes en baskets du village d’en bas qui viennent s'exposer en photo devant la chapelle rénovée du village en ruine.
« J’ai une maison dans un village pas loin d’ici, j’y vais rarement, ou pour récupérer quelques livres... elle est remplie de bouquins. »
Quelques dizaines de mètres plus bas, un cabanon de bois neuf anachronique contraste avec l’antique Mobil home.
- « Ta nouvelle pièce de vie ? »
- « Non, c’est ma bibliothèque, elle est remplie de livres. »
Décidément...
Michel lit énormément, jusqu’à 8 heures par jour parfois quand ses bêtes s’émancipent dans la montagne, car le montagnard est passionné d’histoire, et en particulier des rois de France; Henri 4 qui semble être son préféré, de livres en contes, a livré tous ses secrets à l'éveillé, je n’en doute plus : Michel est un berger royaliste.
D’ailleurs, dès qu’il en a la possibilité, il rejoint les cortèges des fidèles des têtes couronnées pour des cérémonies dont on devine les cachoteries organisées dans les plus beaux châteaux de France.
Deux agnelets viennent me saluer entre deux brebis rasta dont Bob Marley n’aurait pas renié la toison, pas de tonte, visiblement les bêtes restent ici capillairement bien naturelles , le marquis de la montagne offre une royale liberté vestimentaire à ses sujettes.
Je dois donner congé à mon hôte, je reviendrai prochainement le saluer et partager nos libertés différentes, nous échangeons nos numéros de téléphone, il est équipé, souris je.
Michel m’indique le petit chemin à travers la montagne, par la forêt, le long de la petite rivière qui alimente son paradis, me mettant en garde de ne pas me perdre, mais j’ai confiance, je commence à prendre de l’assurance en montagne, je ne deviendrais pas la brebis égarée, la chèvre de monsieur Seguin, le soleil me déposera à mon van, rayonnant de la rencontre de ce bel humain.
Laurent Michelot
« Madeleine »
Personnage réel / Rencontre
Il y a des humaines comme toi, tellement chères qu’il faut les écrire.
Rare, tu l’es, Madeleine, sans être Proust, je te l’écris, car moi je suis tombé amoureux de ta bonté.
Je tombe de moins en moins amoureux.
Tu es admirable d’humanité, je ne pouvais qu’inévitablement t’aimer, et il me faudrait remplir des livres pour résumer le peu que je sais de toi et de ton offrande aux autres.
Il est dans ton salon, bavant son Alzheimer.
« Il m’a tant donné, je lui dois bien ça », tu m’as dit
Alors j’ai pleuré.
Laurent Michelot
« J'ai rencontré une libellule »
Personnage réel / Rencontre
C’est dans sa chaps en caoutchouc, son filet à papillons à la main que je rencontre Magali, moi, comme toujours, pieds nus dans la rivière.
La jeune fille à peine une vingtaine d’années travaille pour le département du Jura, sa mission du moment est de répertorier et comptabiliser les espèces de libellules. Ce qu’il en reste.
Un coup de filet souple et rapide, voilà l’infortuné agrion devenu le cobaye improvisé de notre conversation.
- Saisissons-le délicatement par les ailes, pas comme pour un papillon, me confie-t-elle.
Magali retire subtilement la bestiole des maillons, il est petit, un bel anneau bleu clair de quelques millimètres ceinture son abdomen.
- Ici, j’ai recensé une dizaine d’espèces, mais aucun spécimen rare, regrette-t-elle.
- Les libellules comme tous les insectes sont décimés par les pesticides. Et les oiseaux suivent cette hécatombe.
Nous regardons les arbres arrachés à côté de la rivière, la scène est consternante, certains troncs ont été flanqués dans la rivière comme si on avait voulu poser un barrage pour contenir l'eau.
- J’avais inventorié des nids de rousserolles effarvattes derrière ces arbres doit-elle me répéter deux fois : rousserolles effarvattes ? Je ne connais pas... Elles sont surement parties, on demande aux gens de ne pas effectuer de travaux, pendant la nidification, mais ce n’est pas toujours respecté, les espèces n’y survivent pas.
Les troncs d’arbres obstruent l’écoulement de l’Orain, le ruisselet peine à vivre, on le voit, des algues épaisses et gluantes se sont accumulées comme du plâtre solidifiant les arbres morts occasionnant le trépas de l'eau.
- Ces algues sont créées par les rejets des élevages bovins, il y en a quelques-uns aux alentours, m’informe la jeune experte.
- Les plants et feuilles de maïs voisins viennent encombrer la petite rivière lors de la récolte.
Elle me raconte la fois où dans une commune voisine, elle avait tenté de sauvegarder un champ d’orchidées sauvages d’une espèce remarquable et rare, et comment la municipalité avait complètement rasé la prairie parce qu’elle jugeait que les fleurs n’étaient pas assez dignes de la commune.
- Nous échangeons encore quelques mots sur l’écologie, comment l’assèchement des rivières peut avoir un impact catastrophique sur la biodiversité, toutes ces petites bestioles dans la terre et dans l’eau dont on ne soupçonne pas l’existence qui ne peuvent survivre sous les ravages créés par l'homme.
Je libère ma libellule et j'avoue aimer la regarder s’envoler... agitant son fragile filet comme un frêle drapeau blanc à la nature.
Je me mis à penser, et imaginer le combat que l’on pouvait mener avec un filet à papillons contre les armes qui les anéantissent.